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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/91

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SUR SHAKSPEARE.

quatre avec les apparences de la fureur. Parler, rire, tourner le dos aux acteurs quand la pièce ou l’auteur déplaît, ce sont les devoirs du spectateur en possession des honneurs de la scène. Ces plaisirs des gentilhommes indiquent assez quels étaient ceux de la populace réunie au parterre, et que les écrits contemporains désignent ordinairement sous le nom de puants[1] Le sort des acteurs voués aux divertissements d’un tel public devait avoir plus d’un dégoût, et il est permis d’attribuer à ce que Shakspeare en avait souffert cette aversion pour les réunions populaires qui se manifeste souvent dans ses ouvrages avec tant d’énergie.

La condition et les mœurs des poëtes qui travaillaient pour le théâtre ne nous donnent pas, sous ces deux rapports, une idée plus honorable des acteurs qui les fréquentaient ; et, pour supposer que Shakspeare jeune, gai, facile, ait échappé à l’influence de ce double caractère de poëte et de comédien, il faut cette foi robuste que les commentateurs ont vouée à leur patron. Shakspeare lui-même nous laisse peu de doute sur des torts qu’il a du moins le mérite de regretter. Il demande, dans un sonnet, que sa fortune « coupable déesse, dit-il de mes mauvaises actions, » porte seule le reproche des « moyens publics » auxquels l’a réduit la nécessité de subsister : « De là vient, ajoute-t-il, que mon nom est diffamé et ma nature presque abaissée jusqu’à l’élément dans lequel elle agit, ainsi qu’il arrive à la main du teinturier. Ayez donc pitié de moi, et souhaitez que je puisse être renouvelé, tandis que, soumis et patient, je boirai des potions de vinaigre contre la puissante contagion où je vis [2]. » Dans le sonnet suivant, s’adressant à la même personne, toujours sur le ton d’une affection confiante à la fois et respectueuse : « Votre tendresse et votre pitié, dit-il, effacent pour moi

  1. Stinkards.
  2. Sonnet 111, édition de Steevens, 1780, t. XI, p. 670.