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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/94

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ÉTUDE

et cependant la douleur d’un tel partage se reproduit sous toutes les formes de la jalousie, tantôt résignée, tantôt poussée, par des sentiments trop amers, à laisser échapper des reproches pressants, mais contenus dans les bornes du respect. Ailleurs il s’accuse, à ce qu’il semble, d’infidélité envers « un ancien ami ; » il a trop « fréquenté des esprits inconnus, » trop livré au monde « les droits chèrement achetés » d’une affection qui l’enchaîne chaque jour par de nouvelles obligations ; mais il revient, et réclame son pardon au nom de la confiance que lui inspire toujours cette affection qu’il a négligée [1]. Un autre sonnet parle de torts mutuels pardonnés, mais dont la douleur est encore présente [2]. Si ce ne sont pas là de pures formes de langage employées peut-être dans des occasions bien différentes de celles qu’elles paraissent indiquer, le sentiment qui occupait ainsi la vie intérieure du poëte était aussi orageux que passionné.

Au dehors, cependant, son existence paraît avoir suivi un cours tranquille. Son nom ne se trouve mêlé dans aucune querelle littéraire ; et sans les malignes allusions de l’envieux Ben-Johnson, à peine une critique s’associerait-elle aux éloges qui consacrent sa supériorité. Tous les documents nous montrent enfin Shakspeare placé comme il avait droit de prétendre à l’être, recherché pour le charme de son caractère autant que pour l’agrément de son esprit et l’admiration due à son génie. Un coup d’œil jeté sur les affaires du poëte prouve aussi qu’il commençait à porter, dans les détails de son existence, cette régularité, cet ordre nécessaires à la considération. On le voit achetant successivement dans son pays natal une maison et diverses portions de terre dont il forme bientôt une propriété suffisante pour assurer l’aisance de sa vie. Les profits qu’il retirait du théâtre, en qualité d’auteur et d’acteur, ont été évalués à deux

  1. Sonnet 117, ibid. p. 675.
  2. Sonnet 120, ibid. p. 677.