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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/96

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ÉTUDE

sentir à lui ? Mais il pouvait attirer à Londres sa femme et ses enfants. Rien n’indique qu’il eût été fort tourmenté de cette séparation. Pendant son séjour à Londres, il faisait, dit-on, de fréquents voyages à Stratford ; mais on l’accusait de trouver, même sur la route, des distractions du genre de celles qui avaient pu le consoler, au moins de l’absence de sa femme ; et sir William Davenant s’est vanté hautement de l’intimité du poëte avec sa mère, la belle et spirituelle hôtesse de la Couronne, à Oxford, où Shakspeare s’arrêtait en allant à Stratford. Si les sonnets de Shakspeare devaient être regardés comme l’expression de ses sentiments les plus habituels et les plus chers, on s’étonnerait de n’y jamais rencontrer un seul mot relatif à son pays, à ses enfants, pas même au fils qu’il perdit à l’âge de douze ans. Cependant Shakspeare ne pouvait ignorer la tendresse paternelle : celui qui, dans Macbeth, a peint la pitié sous la forme d’un « pauvre petit nouveau-né tout nu ; » celui qui a fait dire à Coriolan : « Pour ne pas devenir faible et sensible comme une femme, il ne faut pas voir le visage d’une femme ou d’un enfant ; » celui qui a si bien rendu les tendres puérilités de l’amour maternel, celui-là ne pouvait avoir vu ses propres enfants sans ressentir les tendresses de cœur d’un père. Mais Shakspeare, tel que son caractère se présente à notre pensée, avait pu trouver longtemps, dans les distractions du monde, de quoi tenir, dans son âme et sa vie, la place qu’il était capable de donner aux affections. Quoi qu’il en soit, il est plus difficile de démêler les causes qui déterminèrent son départ de Londres, que d’entrevoir celles qui avaient pu y prolonger son séjour. Peut-être quelques infirmités vinrent-elles l’avertir de la nécessité du repos ; peut-être aussi le désir bien naturel de montrer à son pays une existence si différente de celle qu’il en avait emportée lui fit-il hâter le moment de renoncer à des travaux qui n’avaient plus pour dédommagement les plaisirs de la jeunesse.