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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 10.djvu/390

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JULES CÉSAR.

antoine, se penchant sur le corps de César.

— Ô puissant César ! Es-tu donc tombé si bas ! — Toutes tes conquêtes, tes gloires, tes triomphes, tes trophées — se sont rétrécis à ce petit espace !… Adieu !

Il se retourne vers les conjurés.

— Je ne sais, messieurs, ce que vous projetez, — quel autre ici doit perdre du sang, quel autre a la pléthore. — Si c’est moi, je ne connais pas d’heure aussi opportune — que l’heure où César est mort, ni d’instruments — aussi dignes que ces épées, enrichies — du plus noble sang de l’univers. — Je vous en conjure, si je vous suis à charge, — maintenant que vos mains empourprées sont encore fumantes et moites, — satisfaites votre volonté ! Quand je vivrais mille ans, — jamais je ne me trouverais si disposé à mourir. — Aucun lieu, aucun genre de mort ne me plaira, — comme d’être frappé ici, près de César, par vous, — l’élite des grands esprits de cet âge.

brutus.

— Ô Antoine ! ne nous demandez pas votre mort. — Certes nous devons vous paraître bien sanguinaires et bien cruels, — avec de pareilles mains, après une telle action ; — mais vous ne voyez que nos mains, et leur œuvre encore saignante : — vous ne voyez pas nos cœurs : ils sont pleins de pitié ! — C’est la pitié pour les douleurs publiques de Rome — (la pitié chasse la pitié, comme la flamme chasse la flamme) — qui a commis cet attentat sur César. Mais pour vous, — Marc-Antoine, pour vous nos glaives ont des pointes de plomb. — Nos bras, forts pour l’amitié comme pour la haine, nos cœurs — frères par l’affection, vous accueillent — avec l’empressement de la sympathie, de l’estime et de la déférence.

cassius.

— Nulle voix ne sera plus puissante que la vôtre — dans la distribution des nouvelles dignités.