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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 10.djvu/464

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MESURE POUR MESURE, TIMON D’ATHÈNES, ETC.

La terre les eaux va buvant ;
L’arbre la boit par la racine ;
La mer salée boit le vent,
Et le soleil boit la marine.
Le soleil est bu de la lune,
Tout boit soit en haut ou en bas.
Suivant cette règle commune,
Pourquoi ne boirions-nous pas ?


(25) Nous avons longtemps cru, sur la foi des commentateurs, que Jules César avait été composé vers la même époque que Coriolan et Antoine et Cléopâtre, c’est-à-dire dans les dernières années de la vie du poëte. Mais une étude attentive du texte original nous a fait revenir de cette opinion préconçue. Il y a, entre Jules César et les deux autres drames romains, une différence de style que peut seule expliquer une modification profonde dans le procédé du maître ; nous ne retrouvons pas ici cette forme si puissamment concise qui révèle la manière suprême de Shakespeare. Ici, ce n’est plus la phrase de Macbeth, — phrase serrée, dense, laconique jusqu’à la brusquerie, elliptique jusqu’à l’obscurité, pleine de raccourcis et de sous-entendus, entassant le plus d’idées possible, sous le moins de mots possible, insoucieuse des enjambements, dominant le vers souverainement et imposant au rhythme l’allure même de la pensée ; c’est bien plutôt la phrase de Roméo et Juliette, — phrase nette, limpide, transparente éclatante surtout par la clarté, facile, abondante, toujours sujette du rhythme, développant les images sans les presser, évitant la secousse des rejets, se cadençant dans un nombre égal et uniforme, et donnant presque toujours à la pensée la limite harmonieuse du vers. Donc, un intervalle considérable, selon nous, a dû s’écouler entre Jules César et Coriolan, entre Jules César et Antoine et Cléopâtre. Coriolan et Antoine et Cléopâtre appartiennent à cette phase suprême qui clôt la vie du poète, phase qui commence à l’apparition de Macbeth et finit par la Tempête. Jules César appartiendrait, selon nous, à cette phase intermédiaire, comprise entre les dernières années du seizième siècle et les premières années du dix-septième, phase qu’inaugure Roméo et Juliette et que termine Othello.