Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 11.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
INTRODUCTION.

l’objet. Là est l’excuse de la sympathie qu’il impose au public et qu’il inspire à son auguste camarade, le prince de Galles.

Mais le personnage de Falstaff n’est pas indispensable seulement pour justifier l’excentrique jeunesse de Henry V. Il est essentiel à l’action et à l’idée même du drame. La critique n’a pas suffisamment remarqué le lien profond qui existe entre la portion épique de Henry IV et la portion comique dont Falstaif est le principal acteur. Tous ces changements de scène, qui sans cesse font alterner la tragédie avec la comédie et transportent tour à tour le spectateur du palais de Westminster à la taverne d’Eastcheap, de l’auberge de Rochester au château de Northumberland, de la grande route de Gadshill au champ de bataille de Shrewsbury, de l’archevêché d’York au logis de Shallow, tous ces changements, dis-je, ne sont pas les caprices irréfléchis d’une imagination fantasque : ils ont leur raison d’être dans la préméditation d’un grand génie. Essayons de comprendre la pensée du maître.

Le grotesque, dans la nature comme dans l’art, est une condition essentielle de l’être. Tout ce qui existe en une création imparfaite a fatalement une lacune comique. Il n’est rien dans ce monde qui ne prête à rire. Les choses les plus belles, vues à un certain angle, ont une silhouette difforme. Éclairée par une certaine lumière, la plus noble figure grimace. Pas de profil héroïque qui ne donne une caricature. Socrate, sur le point de boire la ciguë, projette une ombre plaisante dans les Nuées d’Aristophane. Le bûcher de Jeanne d’Arc couvre l’œuvre de Voltaire d’une fumée lugubrement bouffonne. Le sublime a pour fantôme le grotesque.

Si le ridicule peut ainsi pour suivre ce qui est réellement admirable, à plus forte raison peut-il s’attacher à