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INTRODUCTION.

cela qu’il faut renoncer. C’est avec cette existence enchantée qu’il faut en finir ! Adieu les joyeux propos et les folles algarades ! Adieu le chevalier de la gaie figure ! Adieu l’ébouriffant capitaine et sa bande ! Adieu la trogne rougie de Bardolph ! Adieu les bons tours de Poins ! Adieu la face idiote de Francis et le sourire béat de la commère Quickly ! Adieu le cotillon chiffonné de Dorothée ! Adieu pour jamais la riante taverne d’Eastcheap ! Il va falloir retourner à ce sombre palais de Westminster que hante le spectre de Richard II.

Certes, nous comprenons que le généreux et doux prince ait hésité longtemps à faire cet héroïque sacrifice. Nous comprenons qu’il ait attendu, pour se décider, la sommation tragique des événements. Le touchant appel de Henry IV agonisant est la pathétique mise en demeure que la Providence adresse au prince de Galles. Dès lors, plus de doute. Comment rester sourd à la voix d’un père qui se meurt ? Henry de Monmouth n’appartenait qu’à lui-même, Henry V appartient à son peuple. Des millions de destinées vont désormais dépendre de la sienne. La patrie réclame le roi. Comme représentant de la civilisation, Henry a pour mission de proscrire le vice qui la mine. Il doit flétrir la corruption. Il accomplit rigoureusement ce mandat : il exile Falstaff. Acte de courage éclatant qui complète le haut fait de Shrewsbury. En triomphant d’Hotspur, Henry a sauvé la société de la barbarie. En triomphant de Falstaff, il la sauve de la décadence.


Hauteville-House, 31 décembre 1860.