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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/67

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SONNETS.

hors de raison, comme une fatale amorce mise exprès pour rendre fou celui qui l’avale.

Folle dans la poursuite, elle l’est aussi dans la possession : ayant eu, elle veut encore, extrême dans son exigence : béatitude à l’épreuve ; après l’épreuve, vraie douleur ; d’abord, joyeux projet, rêve ensuite !

Le monde sait tout cela, et pourtant nul ne sait éviter le ciel qui mène les hommes à cet enfer.


*

XXVII

Maudit soit le cœur qui fait gémir mon cœur de la double blessure faite à mon ami et à moi ! N’était-ce pas assez de me torturer seul, sans que mon meilleur ami fût asservi à cette servitude ?

Tes yeux cruels m’ont enlevé à moi-même ; mais, ce qui est plus dur, tu as accaparé mon autre moi-même. Je suis abandonné de lui, de moi-même et de toi, — triple tourment à subir.

Emprisonne mon cœur dans le cachot de ton cœur d’acier, mais qu’alors mon pauvre cœur serve de caution au cœur de mon ami ! Si je suis captif, que, lui, du moins mon cœur le garde ; tu ne pourras plus alors rendre ma prison si rigoureuse.

Et pourtant tu le feras toujours ; car, puisque je suis enfermé en toi, tu me possèdes forcément, moi et tout ce qui est en moi.