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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/94

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SONNETS.

critiques ou à leurs flatteries. Voyez comme je prends mon parti de leur abandon.

Vous dominez si puissamment ma pensée qu’en dehors de vous il me semble que tout le monde est mort.

LXX

Depuis que je vous ai quitté, mes yeux sont dans mon esprit ; l’organe qui me dirige en mes mouvements ne remplit plus qu’imparfaitement sa fonction et est presque aveugle : il semble voir encore, mais en réalité il ne voit plus ;

Car il ne transmet plus à mon esprit l’image d’un oiseau, d’une fleur, de la fleur quelconque qu’il saisit ; mon esprit reste étranger à ces vivants objets, ou du moins il ne s’approprie pas l’impression qu’il reçoit ;

Car, s’il voit la chose la plus grossière ou la plus charmante, la plus suave beauté ou la créature la plus difforme, la montagne ou la mer, le jour ou la nuit, le corbeau ou la colombe, il la transforme à votre image.

Mon âme, remplie de vous, ne peut contenir rien de plus, et si vrai est mon amour qu’il me fait tout voir à faux.

LXXI

Est-ce mon âme qui, couronnée en vous, avale ce poison monarchique, l’illusion ? Ou dois-je croire que mes yeux disent vrai et qu’ils apprennent de mon amour l’alchimie,