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Page:Simon - L'écrin disparu, 1927.djvu/12

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L’ÉCRIN DISPARU

Approche, répète la voix, avec une insistance marquée. Le malade ne remue toujours pas. Ses yeux, cependant, se sont ouverts et regardent en haut comme pour y chercher une inspiration, tandis qu’immobiles, les bras demeurent fixés le long du corps.

Attiré comme par une force invincible, le fils indigne a fait encore quelques pas : puis, brisé d’émotions, il joint silencieusement les mains, dans un pitoyable geste d’accablement.

La voix du moribond a repris :

— Eh bien ! tu m’as encore volé, n’est-ce pas ?

Rodolphe immobile et hors de lui, ne répond pas.

À le voir, on dirait qu’il n’a rien entendu. Alors, l’un des bras du mourant ébauche un mouvement. D’un geste vague, montrant la porte de l’Office :

— Il y avait là, dans un écrin, six bagues valant chacune deux mille dollars, que je devais livrer aujourd’hui même, et dont le montant m’est absolument nécessaire pour faire honneur à ma signature sous peine d’encourir demain la honte, la faillite, la ruine. — Tu le savais et… tu me les as volées… volées…

L’enfant frissonna ; ses mains tremblèrent ; baissant la tête, d’une voix hésitante et presque éteinte, il dit :

— Je… je n’en ai pris qu’une…

À ces mots, secoué comme par un choc électrique, le moribond d’un effort surhumain, se mit sur son séant, tandis qu’effrayé, l’Aumônier se précipitait pour le soutenir ; mais du geste, il l’écarta.

De sourde qu’elle était, sa voix se fit presque tonnante.

— Comment ?… tu nies, malheureux !… tu oses encore mentir à ton père qui est à deux pas de la mort ?…

Tu lui mens, comme tu lui as toujours menti…

Tout à l’heure, j’ai voulu prendre l’écrin pour l’envelopper : il n’y avait plus rien !… plus rien entends-tu, que le tiroir vide avec sa serrure brisée !… Tu as tout pris, et tu oses le nier ?… Tu vas remettre là…

Rodolphe ahuri, semblait pétrifié. Dans un effarement tragique, il regardait sans voir, avec des yeux hébétés, paraissant ne rien comprendre…

— Tout… tout pris… balbutiait le malheureux père. Remets… les bagues… tiroir… ah ! faillite ; autant de mots saccadés, que dans son délire, le mourant laissait échapper de ses lèvres.

Non… pas… banqueroute ; ne veux pas… moi, poussa-t-il dans un gémissement sinistre !…