Aller au contenu

Page:Simon - L'écrin disparu, 1927.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
L’ÉCRIN DISPARU

Bientôt, pressé par la faim, il pénètre dans la première boulangerie qui s’offre à sa vue : au moment de payer son emplette, il constate avec stupeur, que sa dernière pièce a disparu. La doublure déchirée de sa poche de veste, laisse deviner le chemin qu’a pris son argent. Honteux, craignant d’être soupçonné de fourberie, il s’excuse de son mieux, veut sortir, lorsque, mue par un sentiment de pitié devant cette jeune infortune, la boulangère lui dit :

— C’est bon : allez, emportez votre pain, on voit bien que vous ne faites pas la noce tous les jours.

Il reprend alors sa marche incertaine, va au hasard, coudoyé brutalement par les passants dans la nuit peuplée de lumières éblouissantes. Épuisé de fatigue, il avise un banc sur une grande place, à proximité d’une fontaine jaillissante ; il a juste de l’eau et du pain… ce sera son menu de ce soir… Mais : « De quoi demain sera-t-il fait, aurait-il pu se demander avec le poète, »… Accablé par la fatigue l’angoisse, la honte, sous la fraîcheur du soir, bientôt engourdi, il s’abandonne aux bras de Morphée.

Il dormait depuis un assez longtemps, lorsqu’un homme vint s’asseoir à ses côtés. À la lueur d’un globe électrique tout proche, l’étranger, d’un coup d’œil, a deviné une proie facile à capter.

— Eh bien ! ça ne va pas l’ami ? dit-il en lui secouant fortement l’épaule. Sans remarquer l’accent traînant et la physionomie équivoque de l’individu, le jeune homme balbutia ces simples mots :

— Non, j’ai faim.

L’autre se rapprocha, semblant s’apitoyer.

— Et sans le sou, hein ? ça se devine. Tiens, viens avec moi, on va tâcher de te tirer d’affaire.

Osant à peine en croire ses oreilles, le malheureux affamé, s’affectionnait déjà à l’inconnu. Ils entrèrent dans un piètre restaurant qui semblait désert. Bientôt Rodolphe vit devant lui la moitié d’un pain de quatre livres, du fromage et du jambon. Il y avait longtemps qu’il n’avait fait pareil festin. L’homme fit déboucher deux bouteilles de liqueurs douces, en vida une et dit à son protégé :

— Avale ça d’abord, puis tu finiras ceci ; en même temps, il sortait un flacon de sa poche, s’administrait les deux tiers du contenu, et tandis que l’odeur du brandy se répandait dans la pièce, le jeune homme achevait la consommation.