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Page:Simon Levy - Moïse, Jésus et Mahomet, Maisonneuve, 1887.djvu/286

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l’affection dans l’âme de celui dont l’esprit est égaré ? Exalter le sentiment au détriment de la raison, c’est donc poser un pied sur la pente glissante du mysticisme. Il y a ici cette différence que, dans l’état de folie, l’exercice du sentiment est impossible, parce que la raison se trouve matériellement empêchée de fonctionner, tandis que le mystique tient de la raison la connaissance du principe supérieur auquel il cherche ensuite à s’unir malgré les protestations de la raison. C’est encore de l’égarement, mais un égarement volontaire, un égarement du cœur, le plus dangereux, sans contredit, qui puisse exister.

Qui peut nier que le Christianisme n’ait précisément péché par ce point, d’avoir attribué au sentiment une trop grande importance ? C’est presque sur lui seul qu’il établit tout l’édifice de la morale. La charité chrétienne, par exemple, n’est rien autre chose que le sentiment transformé en loi morale. Excellent moyen, certes, quand il s’agit de fonder le devoir envers nos semblables, mais ressource pleine de danger dès qu’il s’agit de celui que nous avons à remplir envers Dieu. Est-ce à dire cependant que le Christianisme qui y a recours, soit tombé dans tous les excès que nous prétendons en être la suite ? Nous n’avons garde d’affirmer cela. Ce qui, au contraire, étonne chez lui, c’est la sagesse pratique avec laquelle il a su garantir des entraînements où il eût pu être conduit. Et cette sagesse n’est peut-être qu’un reste de cet esprit positif dont la Bible est si remplie, et qui était demeuré au Christianisme comme en souvenir de son éducation première. Quoi qu’il en soit, deux circonstances se sont trouvées où la doctrine chrétienne eût pu facilement s’échouer sur l’écueil du mysticisme, et qu’elle a su heureusement éviter grâce à une énergie digne d’éloges. La première fois ce fut presque au début de son arrivée sur la scène du monde, alors qu’elle essaya de constituer définitive-