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Page:Simon Levy - Moïse, Jésus et Mahomet, Maisonneuve, 1887.djvu/52

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ment pour se faire mieux comprendre de ceux auxquels ils s’adressaient, que les écrivains sacrés ont eu toutes ces hardiesses d’expressions qui n’ont absolument qu’une signification passagère, sans valeur réelle aucune. Il en est à peu près de même des visions des prophètes sur Dieu. Elles n’avaient de réalité que celle que leur prêtait sur le moment l’imagination qui les enfantait. Un instant après qu’elles eurent eu lieu, les prophètes eux-mêmes semblaient s’en effrayer. C’est ainsi qu’Isaïe, après avoir vu le Seigneur assis sur son trône, remplissant tout le Temple des pans de sa robe », s’est écrié : « Malheur à moi qui me suis abandonné à mon imagination[1] ! » Ézéchiel a encore été plus dur pour lui-même[2], tant on craignait de voir prendre à la lettre ce qui, imparfaitement compris, aurait pu porter atteinte au grand principe de l’immatérialité.

Et ces scrupules, parfois exagérés, ont eu leur durée en Israël. Ce n’est certainement qu’à de semblables craintes qu’ont obéi les Paraphrastes chaldéens quand, par des circonlocutions souvent superflues, ils ont cherché à éloigner de Dieu le moindre mot qui eût pu, même de fort loin, compromettre la spiritualité du Créateur. C’est à cette prudence excessive que nous devons leur fameuse théorie de la Mémra[3], théorie d’abord inoffensive mais qui, passant ensuite par le creuset éclectique de Philon[4] et, plus tard, prenant l’empreinte des idées gnostiques d’Origène et de Clément d’Alexandrie, a donné naissance à ce funeste système d’hypostases dont l’adoption au

  1. Isaie, chap. VI, v. 5-7.
  2. Ezechiel, chap. XXI. v. 5.
  3. Voir les Paraphrastes Onke’os et Jonatham ben Ouziel sur Exode, chap XVII, v. 4. Cette Mémra, ou autrement dit, Verbe des Metourguemim n’a encore aucun caractère métaphysique. Elle exprime seulement la manifestation extérieure de Dieu, que la Bible elle-même désigne sous le nom de gloire de Dieu (Ex., chap. XVI, v. 7 et 11. Dans le Talmud, c’est la Sherinah ou rayonnement de Dieu.
  4. Chez Philon, le Verbe devient déjà un ange ou représentation d’une des puissances ou vertus de Dieu. Nous sommes sur la voie de l’hypostase. Philon, Ed. Mangey, I, p. 640.