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Page:Simon Levy - Moïse, Jésus et Mahomet, Maisonneuve, 1887.djvu/95

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Bible, parce qu’elle annihile presque la créature devant le Créateur, parce qu’enfin un homme prédestiné ne lui semble plus être capable d’arriver par lui-même à la découverte du vrai et du bien, ni digne de gagner l’immortalité à la sueur de son front. Le Christianisme dit oui, parce qu’il envisage précisément l’homme comme un être déchu, portant dans son âme la flétrissure héréditaire du péché originel et, comme tel, incapable d’arriver par lui-même au bonheur ni à la vertu, si la miséricorde divine ne le relève d’abord de sa chute par un effet de sa grâce et sans qu’il ait aucun mérite, aucun titre à être comblé de cette grâce[1].

Mais outre que la doctrine juive, en répudiant le péché originel, n’a eu nul besoin de recourir à la prédestination, il lui eût même été impossible de l’admettre sans se trouver aussitôt en contradiction avec maint récit des Saintes Écritures. Tenons-nous-en à deux exemples. S’explique-t-on que Nabuchodonosor, ce premier et terrible fléau des Hébreux, ait pu encourir la punition céleste pour avoir mis à feu et à sang les villes de la Palestine si, en vérité, il a été prédestiné à en être le dévastateur ? S’explique-t-on davantage, avec le système de la prédestination, pourquoi Dieu a envoyé Moïse faire des miracles devant Pharaon dans le dessein de l’amener à l’obéissance envers lui ? Le tyran de l’Égypte eût-il pu s’amender, s’humilier

  1. Le mot grâce, en hébreu ’Hen, que l’on trouve si souvent dans la Bible, pourrait, si l’on s’en donnait la vraie explication, être considéré comme la source de la fameuse doctrine chrétienne sur la grâce que nous condamnons ici. Ce mot, dans le Judaïsme, signifie simplement que Dieu, pour toutes les récompenses qu’il accorde aux justes, n’agit que par pure faveur, nous voulons dire que, suivant une justice rigoureuse, l’homme vertueux n’a droit à aucune récompense, et si Dieu lui en donne une, c’est par pure grâce, par bonté excessive. Ainsi, que je fasse journellement ma prière, quel mérite peut-il m’en revenir, puisqu’en remerciant Dieu je ne remplis qu’un devoir d’obligé ? Et cependant le Judaïsme promet une récompense pour l’accomplissement de ce devoir. C’est cette récompense qui est une pure faveur, « une grâce » ’Hen. Nous sommes loin ici du système de la grâce, comme l’entend le Christianisme.