Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/29

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des commerçants et des manufacturiers. La violence et l’injustice de ceux qui gouvernent le monde sont un mal qui date de loin, et contre lequel la nature des affaires humaines laisse peu espérer de remède assuré. Mais la basse rapacité, le génie monopoleur des négociants et des manufacturiers, qui ne sont ni ne doivent être les maîtres du monde, sont des vices, incorrigibles peut-être, mais qu’on peut très-aisément empêcher de troubler le repos de tout autre que de ceux qui s’y livrent. »

L’expérience n’a infirmé jusqu’à ce jour qu’une seule des doctrines d’Adam Smith, je veux parler de celle qui attribue à la liberté absolue de l’industrie le soin de suffire à toutes les nécessités sociales, et la possibilité de réaliser toutes les sortes de progrès. Ce grand économiste avait dit quelque part : « Pour élever un État du dernier degré de barbarie au plus haut degré d’opulence, il ne faut que trois choses : la paix, des taxes modérées et une administration tolérable de la justice. Tout le reste est amené par le cours naturel des choses. » Nous avons vu, depuis, le cours naturel des choses produire des effets désastreux et créer l’anarchie dans la production, la guerre pour les débouchés, et la piraterie dans la concurrence. La division du travail et le perfectionnement des machines, qui devaient réaliser pour la grande famille ouvrière du genre humain la conquête de quelques loisirs au profit de sa dignité, n’ont engendré, sur plusieurs points, que l’abrutissement et la misère ! Quand Smith écrivait, la liberté n’était pas encore venue avec ses embarras et ses abus. Le professeur de Glasgow n’en prévoyait que les douceurs. Il croyait le printemps perpétuel sur cette terre inconnue qu’il allait découvrir. C’est à ses successeurs que devaient échoir les rigueurs de l’hiver, et Smith aurait sans doute écrit comme M. de Sismondi, s’il eût été témoin du triste état de l’Irlande et des districts manufacturiers de l’Angleterre au temps où nous vivons. Nous avons appris en Europe, par une dure expérience, que les gouvernements étaient bons à quelque chose, et que la liberté mal cultivée donnait, comme tous les arbres sauvages, des fruits souvent très-amers. L’horizon industriel était bien étroit, quand Adam