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Page:Société de l’enseignement supérieur - Revue internationale de l’enseignement, volume 37, juin 1899.djvu/276

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REVUE INTERNATIONALE DE L’ENSEIGNEMENT

de théologie de Strasbourg, et Lichtenberger, nommé son premier doyen était chargé par le ministre d’alors d’en réorganiser les services. Il se mit à l’œuvre avec son énergie méthodique et son jugement droit. Il avait enfin la joie au mois d’avril de la même année — c’était sa première joie après six ans d’attente — d’inaugurer la nouvelle Faculté. Il l’a dirigée pendant dix-sept ans dans la paix la plus profonde et l’activité la plus sérieuse, avec la seule autorité morale de son caractère et de son exemple. Membre du conseil général des Facultés pendant dix ans et du conseil supérieur de l’instruction publique pendant six, il n’avait pas seulement conquis l’estime de ses collègues, sa parole toujours sobre et ferme était écoulée avec une déférence particulière. Toutes les justes causes étaient sûres de trouver en lui un avocat. Quand il dut se retirer à la Suite de l’aggravation du mal auquel il vient de succomber, M. Gréard lui rendit un beau témoignage : « D’une délicatesse de conscience poussée jusqu’au scrupule, M. Lichtenberger était avant tout l’homme du devoir ; il dédaignait les apparences et les conventions ; il était de ceux qui tiennent à être, non à paraître. Sa parole était toujours écoutée parmi nous parce qu’on le savait toujours. au service de la vérité, de la justice et du bien moral du pays ».

À côté de cette haute distinction morale, il est juste de rappeler la valeur de son œuvre scientifique et littéraire. Avant la guerre, il n’avait guère publié que des articles de revue et ses thèses académiques : mais il avait beaucoup amassé. Les premiers temps de son séjour à Paris furent particulièrement féconds. En 1873, il donnait, en trois volumes, son Histoire des idées religieuses en Allemagne depuis le milieu du dix-huitième siècle (3 vol. in-12). C’est un ouvrage essentiel et qui manquait à la France. Les épreuves subies, les regrets, la rancune n’y ont laissé aucune trace. Le savant a ignoré les douleurs de l’homme. Il ne pouvait faire de plus dignes adieux à cette Allemagne qui l’avait exilé du foyer de ses pères. Immédiatement après, il entreprenait, avec le concours de savants recrutés impartialement de tous les côtés, l’Encyclopédie des sciences religieuses[1] à laquelle son nom reste justement attaché. Le treizième et dernier volume sortait de presse en 1882. Lorsqu’il prit sa retraite ne se doutant pas alors de la gravité de son mal, il caressait l’espoir d’écrire encore quelques livres dont il avait conçu le dessein. Les forces ont trahi sa volonté et le temps qui lui restait à vivre a été plus court qu’il ne le pensait et que ne le souhaitaient ses amis. Le bon ouvrier, cependant, s’en va après une journée bien remplie. Et son exemple reste pour nous prouver que l’unité et la beauté morale d’une vie humaine ne sont pas dans les choses ou les évènements du dehors qui ne dépendent pas de nous, mais dans une conscience virile qui reste fidèle à sa règle intérieure à travers toutes les vicissitudes de la fortune.

La mort de F. Lichtenberger est un deuil pour toute la colonie alsacienne. En son nom, nous lui disons adieu.

(Extrait du Temps).

A. Sabatier,
Doyen de la faculté de théologie.

Les discours prononcés aux obsèques du regretté doyen de la Faculté de droit de l’Université de Paris seront publiés dans le prochain numéro.

  1. 13 vol. in-8o, 1877-1K82 ; M. Lichtenberger a publié en outre, Méditations pour chaque jour de l’année 1881, in-8o ; Sermons, 1867, in-18 ; l’Alsace en deuil, in-8, 10 éditions ; l’Éducation morale dans l’École primaire, 1889, in-8.