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Page:Société de l’enseignement supérieur - Revue internationale de l’enseignement, volume 37, juin 1899.djvu/365

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NÉCROLOGIE

M. Édouard Tournier

Discours de M. G. Perrot.

C’est une année cruelle pour l’École que cette année 1899 ; il y a un mois, nous disions le dernier adieu à l’un des plus jeunes de nos maîtres, à M. Fabre, auquel la vie semblait promettre de longs jours de travail et de succès. Aujourd’hui nous conduisons le deuil d’un de nos anciens, de M. Édouard Tournier, qui enseignait à l’École depuis vingt-sept ans. C’était, après M. Boissier, le doyen de nos professeurs, et si toutes les générations d’élèves qu’il a concouru à former n’étaient pas dispersées par toute la France, et pouvaient se trouver ici réunies, ce serait une véritable foule qui se presserait autour de ce cercueil, une foule que pénétrerait un même sentiment de respect affectueux et de regret sincère, sentiment auquel M. le Ministre a voulu s’associer en me chargeant de transmettre à la famille de M. Tournier et à l’École l’expression du chagrin que lui cause la perte que nous venons de faire.

Édouard Tournier était originaire de cette Franche-Comté qui nous a fourni tant d’excellents élèves, esprits et caractères fermes dans des corps d’apparence vigoureuse. C’est en 1850 qu’il fut admis à l’École, en même temps que Fustel de Coulange, qu’il admirait dès lors pour sa puissance de travail et duquel devait le rapprocher plus tard une alliance de famille. Cette École, où il avait été si heureux d’entrer, lui ménageait une pénible déception. Il y arrivait avide d’apprendre et tout fier d’avoir sa place marquée dans une élite à laquelle un bel avenir paraissait assuré par le renom de ses maîtres, par les hautes situations que beaucoup des anciens élèves de l’École avaient occupées sous la monarchie de juillet, enfin par les brillants succès universitaires des jeunes hommes qui formaient alors la tête des promotions précédentes ; mais il était venu frapper à cette porte trop tard — ou trop tôt. C’était le moment où la France libérale allait payer la rançon des fautes commises d’abord par les derniers ministres de Louis-Philippe, puis par les républicains de 1848, aussi inexpérimentés que généreux. L’heure de la réaction avait sonné, d’une réaction à laquelle s’associaient, en visant des buts très différents, des politiques qui, sans le savoir, travaillaient tous à préparer et à faire l’empire.

L’École était connue pour son attachement à la République et pour la hardiesse de ses opinions philosophiques, elle avait été promptement dénoncée comme dangereuse, et ces défiances avaient commencé à produire leur effet. La promotion dont Tournier faisait partie ne trouvait déjà plus à l’École le directeur sous lequel celle-ci, installée depuis 1847 dans son nouveau domicile, avait élargi son rôle et développé ses légitimes ambitions. M. Dubois avait été remplacé, au mois de juillet 1850, par M. Michelle, le premier directeur qui