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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/102

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Le Coryphée. — Je frissonne, mes amies, en voyant les tortures de notre maître ; quel héros il est et quels tourments il endure !

Héraclès[1]. — Que de travaux, dont le récit seul cause une cuisante fatigue, mes bras, mon dos, ont supportés ! Et jamais encore il ne m’en a été, ni par l’épouse de Zeus, ni par l’odieux Eurysthée, imposé un pareil à celui que la fille perfide d’Œnée a attaché à mes épaules, vêtement tissu par les Erinyes et qui me tue. Collé à mes flancs, il me dévore au fond des chairs, il dessèche par son contact les artères[2] de mes poumons ; il a bu, tari le sang de ma vie ; tout mon être est détruit, dompté par cette étreinte mystérieuse. Et cela n’est l’œuvre ni d’une lance brandie dans la plaine, ni de l’armée des Géants nés du sol, ni des sauvages Centaures[3], ni de l’Hellade, ni d’aucun pays barbare, ni d’aucune terre, si grande soit-elle, que j’aie visitée pour la purifier : c’est une femme, une faible femme, un être dénué de force virile, qui seule m’a tué, sans armes ! Mon enfant, sois vraiment à mon égard un enfant né de moi, et ne me préfère pas un être qui n’est pour toi une mère que de nom. De tes propres mains, arrache-la du palais et mets-la dans les miennes ; je saurai nettement si tu souffres plus de mon sort que du sien, quand tu verras en quel état je mettrai justement sa beauté. Va, mon fils,

  1. Ce long monologue d’Héraclès est coupé par une crise, par des spasmes de douleur, pendant lesquels, v. 1081, 1085, 6, comme il est naturel, le mètre iambique est délaissé. On a déjà vu dans l'Électre un effet analogue. Cf. vol. I, p. 251, note.
  2. Le mot n’est pas très juste : il faut l’entendre dans le sens où nous employons le composé : trachée-artère, sur le modèle grec : ἡ τραχεῖα ἀρτηρία. Chez nous l’expression est toujours au singulier, mais pour désigner les conduits par lesquels l’air accède dans les poumons, les médecins grecs employaient quelquefois, comme ici, le pluriel. Cf. Hippocrate (Littré) VI, 203, 32 ; 302, 14, où le mot ἀρτηρίαι désigne les bronches ou leurs ramifications.
  3. Les Centaures dans cette pièce sont toujours désignés par le mot θῆρ (cf. 556, 568, 680, 1059, 1096) puisqu’ils sont des monstres mi-hommes, mi-bêtes. Dans les Limiers, v. 215, pour une raison ana-