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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/142

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que par nature tu n’es pas fait pour tenir un langage de ce genre, ni pour inventer un artifice ; pourtant, — car, vraiment, c’est douce chose que de tenir en ses mains la victoire, — aie cette audace ; nous nous montrerons justes une autre fois. Aujourd’hui, sans aucun scrupule, pour quelques instants de la journée[1], livre-toi à moi, et ensuite, pendant tout le reste du temps, sois proclamé le plus religieux de tous les mortels.

Néoptolème.(Avec embarras.) Ce que je souffre à entendre, fils de Laërte, je déteste aussi de l’exécuter ; je ne suis pas né pour agir par ruse perfide, et il en était de même, on l’affirme, de celui qui m’a donné la vie. Je suis prêt à enlever cet homme par la violence, non par la ruse : avec son pied unique il ne pourra pas triompher de notre nombre, par la force. Toutefois, envoyé pour te seconder, j’ai peur qu’on ne m’appelle un traître. Je préfère, cependant, roi, tout en agissant bien, échouer, plutôt que de triompher, en agissant mal.

Ulysse.(Avec un peu d’ironie.) Fils d’un illustre père, moi aussi jadis quand j’étais jeune, j’avais la langue paresseuse et la main active. Mais aujourd’hui que j’en ai fait l’expérience, je vois que, dans la vie des hommes, c’est la parole et non l’action qui conduit tout.

Néoptolème. — Que m’ordonnes-tu donc, sinon de mentir ?

Ulysse. — Je te dis, moi, de prendre Philoctète par ruse.

Néoptolème. — Mais pourquoi faut-il l’emmener par ruse plutôt que par persuasion ?

Ulysse. — Jamais il ne t’écoutera ; or, par violence tu ne saurais le prendre.

Néoptolème. — Sa vigueur le met donc si merveilleusement à l’abri du danger ?

Ulysse. — Et ses flèches inévitables qui portent la mort devant elles.

  1. L’action du Philoctète ne dure, en effet, que quelques heures.