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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/156

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silence de moi, tandis que mon mal grandit toujours et empire de plus en plus. Mon enfant, toi qui as Achille pour père, c’est moi, dont tu as peut-être entendu parler, qui suis maître des armes d’Héraclès, le fîls de Pœas, Philoctète, que les deux stratèges[1] et le roi de Céphallénie[2] ont jeté honteusement en ce lieu désert, consumé par un mal sauvage, percé par la sanglante morsure du venimeux serpent ; et c’est dans cet état, mon enfant, que ces misérables me déposèrent ici et qu’ils partirent, en me laissant tout seul, quand arrivés de l’île de Chrysé ils eurent abordé à Lemnos avec la flotte. Dès qu’ils me virent, après les fatigues du roulis, endormi sur le rivage, dans le creux d’un rocher, ils n’eurent rien de plus pressé que de m’abandonner et de se sauver, en ne me laissant, comme au dernier des hommes, que de misérables haillons et quelques aliments pour me sustenter : que les dieux le leur rendent ! Imagine, mon enfant, quel fut mon réveil, eux partis ! quelles larmes je versai, comme je me lamentai sur mes malheurs ! Je voyais les navires avec lesquels j’étais venu, tous au loin, personne n’être plus là pour me secourir, ni pour alléger mon mal, et en regardant de tous les côtés je ne trouvais que la souffrance, mais celle-là, elle ne me manquait pas, mon enfant. Pourtant les jours suivaient pour moi les jours, et il me fallut bien dans ma grotte étroite pourvoir seul à ma nourriture. Le nécessaire


    Scyros. Il l’avait eu de Déidamie, fille de Lycomède. L’enfant était donc resté sous la garde de son grand-père maternel. Cf. Apollodore, III, 13, 8. (F. H. G. I, p. 173.)

  1. Sur cet anachronisme, dont le mètre seul est responsable, cf. vol. I, p. 14, note.
  2. Ulysse est roi d’Ithaque ; ici, il est roi de Céphallénie, l’île voisine. Cf. 791. On assure que ce changement ne lui est pas favorable et qu’il perd au change. Cela n’est pas certain. Dans le Catalogue, (Il. II, 631 sqq.) Ulysse mène à Troie les Céphalléniens qui, sans compter d’autres îles, habitent Ithaque, Néritos, Zacynthe, Céphallénie et une partie du continent opposé. Ces gens n’étaient pas sans vigueur. Cf. Il. IV, 330. Ils l’avaient bien prouvé aux Athéniens, comme le raconte Thucydide II, 33, vingt-deux ans avant la représentation du Philoctète.