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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/158

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à ma faim, cet arc me le fournissait, frappant les ramiers[1] dans leur vol, et chaque fois qu’une de ses flèches m’abattait une proie, tout seul[2], malheureux, je me traînais vers elle, en tirant derrière moi mon pied malade. S’il me fallait aussi chercher de l’eau pour boire, et, quand la glace était répandue sur le sol, comme il arrive en hiver, casser quelque bois, je n’arrivais à bout de tout cela qu’en rampant misérablement. Ensuite le feu me manquait, mais frottant un caillou contre d’autres cailloux, je fis briller non sans peine la flamme qui y était cachée, et elle m’a conservé vivant jusqu’à ce jour. Avec du feu[3], en effet, cette caverne en m’abritant, me procure tout ce dont j’ai besoin, sauf ma guérison. A présent, mon enfant, que je te parle de cette île. Aucun marin ne s’en approche volontairement, car elle n’a pas de port et il n’y a aucun endroit où l’on puisse trafiquer, ni recevoir l’hospitalité : ce n’est pas ici qu’abordent les gens prudents. Mais on peut bien, diras-tu, s’y arrêter malgré soi : de telles choses sont fréquentes dans la longue vie des êtres humains. Ces gens-là, quand ils ont abordé, mon enfant, en paroles ils ont bien pitié de moi, et même ils m’ont donné quelquefois de la nourriture, par compassion, ou quelque vêtement, mais il y a une chose à laquelle, quand je leur en parle, personne ne consent, c’est à me ramener chez moi, et voici, malheureux que je suis, la dixième année que je me consume dans la faim et les souffrances, à nourrir cet ulcère qui me dévore. Voilà ce que m’ont fait les Atrides et Ulysse, mon enfant : puissent les dieux de l’Olympe leur rendre un jour la pareille, en expiation de ce que je souffre !

  1. Les « colombes » de Fénelon sont, en réalité, des pigeons sauvages, des ramiers.
  2. Entendez qu’il n’avait ni chien, ni valet. Quand on courait le lièvre, le chasseur partait avec les chiens, « vêtu légèrement, avec des sandales aux pieds, un bâton à la main et suivi du garde-filet. » Xénoph. Cynég. VI, 11.
  3. Une des premières choses que découvre Néoptolème dans la grotte de Philoctète, ce sont des πυρεῖα : du bois mis en réserve pour être brûlé. Cf. v. 36.