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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/160

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Le Coryphée. — Naturellement, comme les étrangers qui ont abordé ici, je te plains, fils de Pœas.

Néoptolème. — Et moi aussi, garant de tes paroles, je sais qu’elles sont vraies, pour avoir fait l’expérience de l’injustice des Atrides et d’Ulysse.

Philoctète. — As-tu aussi à te plaindre des infâmes Atrides, et es-tu irrité de ce qu’ils t’ont fait ?

Néoptolème. — Puisse un jour être donné à mon bras de satisfaire ma colère, pour que Mycènes et Sparte sachent bien que Scyros, elle aussi, est mère d’hommes courageux !

Philoctète. — Bien dit, mon fils. Mais quelle est la cause de la grande colère dont tu es ainsi animé contre eux ?

Néoptolème. — Fils de Pœas, je vais te raconter, bien qu’avec peine, tous les outrages que j’ai reçus d’eux, après mon arrivée. Quand le destin eut fait mourir Achille…

Philoctète.(Vivement.) Ah ! arrête, plus un mot ; dis-moi d’abord, est-ce qu’il est mort, le fils de Pelée ?

Néoptolème. — Il est mort : ce n’est pas un homme, c’est un dieu, dit-on[1], qui l’a frappé, Apollon, avec ses flèches.

Philoctète. — Certes, illustre est le vainqueur, comme la victime. Je ne sais, mon enfant, si je dois d’abord t’interroger sur ce qu’on t’a fait subir, ou pleurer ce héros.

Néoptolème. — Il me semble que tes souffrances, infortuné, te suffisent bien, sans que tu pleures les malheurs d’autrui.

Philoctète. — Tu as raison. Continue donc de me dire quelle injure tu as reçue.

  1. Il devait le savoir mieux que personne, car cette mort est récente et il a vu de ses yeux le cadavre, mais on n’était pas d’accord sur la façon dont le héros avait succombé, et le fils choisit pour son père la fin la plus glorieuse. Dans l’Αἰιοπίς, (Cycli fragm. p. 583 a, Didot) Achille était tué par Paris et par Apollon. Et c’est bien ainsi qu’Hector avait prédit à son vainqueur qu’il succomberait près des portes Scées. (Il. XXII, 359 sq. Cf. Il. XIX, 416 sq.) Mais ailleurs, Il. XXI, 278, Achille assurait lui-même qu’il mourrait sous les coups seuls du dieu et Thétis, sa mère, dans Eschyle, fragm. 350, 8 sq. disait la même chose.