Aller au contenu

Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucun être mortel qui se soit heurté à un destin plus hostile que Philoctète, qui sans avoir rien fait à personne, rien dérobé, mais Juste envers les justes, périssait ainsi honteusement. Et voici ce qui m’étonne : comment seul, comment au bruit des vagues qui se brisent de tous les côtés, comment donc a-t-il supporté une existence aussi déplorable ?

Il était à lui-même son propre voisin, il ne pouvait pas marcher, il n’avait près de lui personne dans le pays pour l’assister dans ses maux, personne auprès de qui il pût exhaler, pour être répercutés alentour, les gémissements que lui arrachait sa blessure dévorante, ensanglantée, personne pour calmer avec des herbes adoucissantes, cueillies sur la terre nourricière, la chaude hémorrhagie, quand elle se produisait, qui jaillissait de son pied envenimé ; il se traînait de-ci de-là, en rampant, comme un enfant sans sa nourrice,’là où il pouvait pourvoir à ses besoins, chaque fois que cessait le mal qui le rongeait[1] ;

Plus vif.

Sans prendre pour se nourrir la semence de la terre sacrée, ni rien de ce que nous mangeons, nous autres hommes industrieux, sauf quand parfois avec les traits ailés de son arc rapide il procurait quelque aliment à son estomac. Le malheureux ! pendant un temps de dix années il n’a même pas connu la joie des coupes de vin, et c’est vers de l’eau

  1. Ce stasimon est le seul de la pièce qui mérite ce nom. Le chœur le chante pendant que la scène est vide. Les deux strophes précédentes, qui se répondent à distance (391-402 = 507-518, cf. Eurip. Hippolyte, 362-72 = 669-79) sont, au contraire, intercalées dans un très long épisode, dont elles marquent les deux principaux temps d’arrêt, tandis que les acteurs restent en scène et prennent un instant haleine. Aussi le chœur, qui défend toujours les intérêts de son maître, feint-il de croire à l’injustice que ce dernier prétend avoir reçue des Atrides, v. 896 sqq., et il le presse ensuite, v. 511 sqq., de la faire tourner au profit de Philoctète, entendez au profit de Néoptolème. Ici, il exprime les sentiments que lui inspire l’abandon du malheureux et sa compassion n’est pas feinte. Comme ce chœur