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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/212

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stratèges, fils d’Atrée que tu sers en tout ceci. Pourtant, c’est la ruse et la contrainte qui t’ont forcé à faire voile avec eux[1], tandis que moi, qui n’ai jamais été que malheureux, bien que de bon gré, je les aie accompagnés avec sept vaisseaux, j’ai été indignement abandonné par eux, comme tu le prétends, tandis qu’ils rejettent cet abandon sur toi. Et maintenant pourquoi me prenez-vous ? pourquoi m’emmenez-vous ? dans quel dessein ? Je n’existe plus, je suis mort pour vous depuis longtemps. Comment aujourd’hui, être exécré des dieux, ne suis-je plus pour toi boiteux, mal odorant ? Comment pourrez-vous, si je m’embarque, brûler aux dieux des victimes ? Comment leur ferez-vous encore des libations ? Car ce fut là ton prétexte pour m’abandonner. Puissiez-vous périr misérablement ! Et vous périrez, vous qui m’avez fait tant de mal, si les dieux se soucient de la justice. Or, je sais qu’ils s’en soucient, car vous n’auriez jamais fait ce voyage à cause d’un malheureux, et si vous êtes ainsi venus vers moi, c’est un dieu qui vous aiguillonne. Allons, terre de mes pères, dieux à qui rien n’échappe, vengez-moi, vengez-moi enfin sur eux tous, si vous avez quelque pitié de moi. Sans doute, je mène une vie misérable, mais si j’assistais à leur ruine, je me croirais échappé à mon mal.

Le Coryphée. — Violent est l’étranger, et violent est le discours qu’il vient de faire, Ulysse : il ne sait pas céder au malheur.

Ulysse. — J’aurais bien des choses à opposer à ses paroles, si j’en avais le loisir, mais en ce moment je ne puis que dire un seul mot : quand il faut des gens comme le veut cette occasion-ci, tel je suis ; quand il y a compétition d’hommes justes et vertueux, tu ne trouveras


    est dit v. 1016, après avoir lié les membres de son prisonnier, de l’emmener avec lui.

  1. Ulysse pour ne pas aller à Troie avait simulé la folie. Cf. v. 73. sa ruse avait été démasquée par Palamède. Cela était raconté dans les Cypriaques dont Sophocle avait tiré son Ὀδυσσεὑς μαινόμενος. Cf. Eschyle, Agam. 841.