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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/276

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trouve-t-il ? Où s’est-il sauvé au loin, le plus impudent des hommes ?

Un autre Choreute.Cherche, tâche de le voir, regarde de tous les côtés.

Le Coryphée.C’est quelque vagabond, oui, un vagabond, ce vieillard, ce n’est pas un homme du pays : il n’aurait jamais mis le pied dans le bois sacré de ces Vierges redoutables, que nous tremblons de nommer, près desquelles nous passons sans un regard, sans un mot, priant seulement silencieux en notre pensée muette. Et voici maintenant, dit-on, qu’un inconnu est venu, qui ne respecte rien : je regarde tout autour du lieu consacré et ne puis découvrir où il se trouve.

Apparaît brusquement Œdipe avec sa fille.
Mélodrame.

Œdipe. — Le voici, cet homme, c’est moi ! Mes oreilles à moi, ce sont mes yeux, comme on dit[1] !

Le Coryphée.(Il recule.) Oh ! sa vue fait peur, ses paroles aussi.

Œdipe.(Aux choreutes accourus de tous côtés.) Ne me regardez pas, je vous en supplie, comme un criminel.

Le Coryphée. — Zeus protecteur ! Quel peut bien être ce vieillard ?

Œdipe. — Un homme dont le destin n’est pas tel qu’on le proclame heureux avant tous les autres, chefs de ce pays, et je le prouve : je ne cheminerais pas ainsi avec les yeux d’autrui, et avec ma haute taille (désignant Antigone sur laquelle il s’appuie) j’aurais une ancre moins frêle[2].

  1. Passage controversé. Œdipe n’y voit plus, mais il n’est pas sourd. L’ouïe pour lui, comme pour tous les aveugles, remplace la vue : il voit donc les gens par ce qu’ils lui disent, litt. à votre parole je vous vois. Cf. O. R. 1325 sq. — Quant à τὸ φατιζόμενον je suis l’explication traditionnelle, de préférence à celle du scholiaste : τὸ λεγόμενον παρ᾽ ὑμῶν.
  2. Œdipe parle de lui-même sur un ton moitié sérieux, moitié plaisant : c’est un mendiant qui, pour solliciter la pitié, se moque douloureusement de sa cécité et de sa faiblesse.