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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/296

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et tu t’es constituée ma fidèle gardienne, quand j’étais chassé de mon pays. Et aujourd’hui quelle nouvelle viens-tu encore, Ismène, porter à ton père ? Quel motif t’a poussée hors de chez toi ? Car tu n’es pas venue inutilement, je le sais bien, sans m’apporter quelque sujet de crainte.

Ismène. — Les souffrances que j’ai endurées, mon père, en cherchant l’asile où tu vivais, je ne te les dirai pas : je ne veux pas souffrir deux fois, en ajoutant à mes peines le récit que j’en pourrais faire[1]. C’est pour t’informer des malheurs présents de tes fils infortunés que je suis ici. D’abord c’était entre eux une rivalité à qui laisserait le trône à Créon et ne souillerait pas la cité ; à les entendre, ils songeaient aux malheurs héréditaires de leur race attachés à ta maison déplorable[2]. Mais aujourd’hui, quelque dieu et la perversité de leur esprit les poussant, il s’est élevé entre ces malheureux une rivalité funeste : ils veulent s’emparer du pouvoir et de la puissance souveraine. Et le plus jeune, au mépris des droits de la naissance[3], a chassé du trône son aîné Polynice et l’a banni de sa patrie. Celui-ci, comme on le raconte partout chez nous, s’en va, exilé, dans le montagneux pays d’Argos, il se marie et s’adjoint ainsi de nouveaux alliés et des compagnons d’armes dévoués, dans la pensée que bientôt Argos s’emparerait glorieusement de la plaine des Cadméens ou qu’autrement elle ferait monter leur gloire jusqu’au ciel. Ce n’est pas là, mon père, un flot inutile de paroles, ce sont des faits effrayants. Quant à tes épreuves, je ne sais où les dieux les mèneront, pour les prendre en pitié.

  1. Prétexte adroit pour supprimer dans cette tragédie très longue un récit qui n’est pas indispensable. Cf. 1148 sq.
  2. A la fin de l’O. R. Créon est chargé du pouvoir, v. 1418. Étéocle et Polynice sont encore tout jeunes, mais comme ce sont des enfants mâles, dit leur père, v. 1460 sq., ils sauront toujours se tirer d’affaire. Ils ne sont donc pas aussi dignes de pitié que leurs sœurs, qui seules sont amenées sur la scène. Ils grandissent et sont d’accord pour laisser le pouvoir à leur oncle. Plus tard, ils changent d’avis et la lutte fratricide commence.
  3. Il insiste sur l’interversion de leur âge, parce qu’elle est con-