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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/312

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sans savoir ce que je faisais[1]. Or, selon la loi je suis innocent : j’ignorais mon crime en le commettant[2].

Parlé.

Le Coryphée. — Voici que notre roi Thésée, le fils d’Égée, arrive suivant ta prière, pour accomplir ce que tu attends de lui.

Entre Thésée.

Thésée. — Depuis longtemps j’entends parler souvent de ces yeux sanglants que tu t’es crevés et je t’ai reconnu, fils de Laïos, mais aujourd’hui par tout ce qui s’est dit sur ma route, en venant ici, je sais encore mieux qui tu es. Cet extérieur, cette tête ravagée me le disent clairement, et plein de pitié je veux te demander, malheureux Œdipe, quelle prière tu viens adresser à la cité et à moi-même, toi et l’infortunée qui t’accompagne. Parle. Difficile devrait être ta demande pour que je la repousse. Je sais, moi aussi, que j’ai grandi dans l’exil, comme toi, et qu’autant que personne j’ai lutté sur une terre étrangère contre de nombreux périls qui menaçaient ma tête[3]. Aussi je ne saurais me détourner d’aucun exilé, comme tu l’es maintenant, pour éviter de contribuer à le sauver. Je sais bien, en effet, que je suis homme et que le jour qui vient ne m’appartient pas plus qu’à toi-même.

  1. Il se garde bien de parler plus explicitement et de rappeler que parmi les victimes était son père : cela lui serait trop douloureux.
  2. L’argument suprême est réservé pour la fin ; il est valable aussi bien pour l’inceste (cf. v. 525) que pour le parricide : ce qui constitue la faute, c’est l’intention de la commettre. C’est bien ainsi que le texte qu’on a retouché de plusieurs manières, est compris par le scholiaste : toute l’argumentation d’Œdipe se résume pour lui en trois mots : οὐ γὰρ ῄδειν. Et Sophocle sent si bien la force du raisonnement qu’il le répète plusieurs fois. Cf. v. 271 sq., 976.
  3. Comme Œdipe, Thésée avait été élevé loin du foyer, à Trézène, chez Pitthée, son aïeul maternel. Quand sa mère Æthra lui eut dit qu’Egée était son père, il se rendit par terre à Athènes. La route était infestée de brigands. Il accomplit pendant son voyage une série d’exploits analogues à ceux d’Héraclès. Cf. Plutarque, Thésée, VI-XII.