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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/32

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n’a pas attribué aux mortels une vie sans douleur. Pour tous peine et joie alternent tour à tour, comme tournoient en cercle les étoiles de la Grande Ourse.

Plus lent.

La Nuit constellée ne reste pas immuable pour les mortels, ni les Destins ennemis, ni la richesse, au contraire la joie, la pauvreté s’en va, revient. Ces vérités, reine, je te conseille de les avoir toujours en tes espoirs : vit-on jamais Zeus abandonner ses enfants ?

Déjanire.(Au Coryphée.) Ce n’est pas, il me semble, sans avoir appris ma souffrance que tu es venue ici. Comme je me torture l’esprit, puisses-tu ne jamais le savoir, en l’éprouvant toi-même ! Aujourd’hui tu l’ignores encore. La jeunesse croît dans la retraite qui lui est réservée, et l’ardeur du soleil ne la trouble point, ni l’orage, ni le souffle des vents ; au milieu des plaisirs elle grandit sans souffrance, jusqu’à ce que quittant le nom de vierge la jeune fille soit appelée femme et qu’elle prenne pendant la nuit[1] sa part de soucis, à cause d’un mari, à cause d’enfants pour lesquels elle s’inquiète. Alors envisageant son propre sort elle pourra concevoir les maux qui m’accablent. Sans doute de nombreuses épreuves m’ont déjà fait pleurer, mais il en est une, pire que les précédentes, que je vais dire. En sa dernière expédition, quand Héraclès, notre maître, quitta sa demeure, il laissa dans son palais une tablette déjà vieille, toute couverte de signes, qu’il n’avait jamais

  1. C’est surtout pendant la nuit que le souci ronge l’esprit des gens inquiets et qu’il les tient éveillés. On le voit bien au commencement des Nuées, quand Strepsiadès fait à la lueur de sa lampe le compte des dettes que son fils a contractées. Cf. Ménandre, Epitrepontes 35 sqq. Έν νυχτἱ, qui a ici un sens général, n’équivaut donc pas, comme l’a cru Dindorf, à ἐν νυχτἱ μιᾷ (=]a nuit des noces) et le rapprochement avec un passage bien connu du Térée (Soph.