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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/342

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filles. Ta conduite est une insulte pour moi, pour ceux dont tu es né, pour ton pays : tu es entré dans une cité qui pratique la justice, que la loi dirige en chacun de ses actes ; malgré cela, au mépris de ses principes, tu fais irruption sur son sol, tu prends ce qui te plaît, tu te l’appropries par la force ; tu as cru sans doute qu’Athènes était vide d’hommes, qu’elle n’était qu’une esclave et que je ne comptais pour rien[1]. Pourtant Thèbes ne t’a pas appris le mal: elle n’aime pas à nourrir des hommes ennemis de la justice et elle ne te louerait point, si elle apprenait que tu voles ce qui m’appartient, ce qui appartient aux dieux, en emmenant par la force d’infortunés suppliants. Jamais, si je mettais le pied sur ton sol, je n’entraînerais, je ne prendrais personne, même si j’en avais les plus justes droits, sans l’assentiment du maître du pays, quel qu’il fût ; bien au contraire, je saurais, étranger au milieu de citoyens, comment il faut se conduire. Toi, tu déshonores indignement ta propre cité, et le temps en s’accumulant sur ta tête fait en même temps de toi un vieillard et un insensé. Je l’ai ordonné tout à l’heure, je répète maintenant mon ordre : que l’on ramène ici au plus vite ces deux jeunes filles, si tu ne veux pas par contrainte et contre ta volonté habiter désormais en ce pays. Et cela ma bouche te le dit comme mon esprit le pense.

Le Coryphée. — Tu vois où tu en es venu, étranger ? Ta naissance annonce un homme juste, et pourtant tu es convaincu d’actes criminels.

Créon. — Je ne dis pas que cette cité soit vide d’hommes, fils d’Égée, et ce n’est pas sans raison, comme tu le prétends, que j’ai agi comme je l’ai fait, mais parce que je savais qu’aucun des Athéniens ne serait pris, à l’égard des êtres de son sang, d’un amour assez fort, pour les

  1. Thésée est vieux, — comme Œdipe, comme Créon, comme les choreutes, comme Sophocle lui-même qui a créé tous ces vieillards, — mais sa vigueur est intacte. Pour bien marquer sa célérité, son empressement à accourir au secours de son hôte, le poète au début de cette scène, v. 887-890, a eu soin de remplacer les iambes par des trochées. Quand le roi est plus calme, les iambes reviennent. — A