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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/344

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retenir à son foyer malgré moi. Je savais aussi qu’ils n’accueilleraient pas un parricide, un être impur, un fils convaincu d’inceste par son union même. Aussi bien qu’eux, je connaissais trop le sage Aréopage, établi dans ce pays, qui interdit à de pareils fugitifs d’habiter avec eux dans la cité[1]. En me fiant à lui, j’ai mis la main sur cette proie. Et encore ne l’aurais-je pas fait, si cet homme n’avait pas prononcé d’amères malédictions contre moi et contre ma race. Victime, j’ai voulu rendre outrage pour outrage. Pour la colère il n’y a pas de vieillesse, sauf dans la mort : les morts seuls ne sentent rien. Après cela agis comme tu voudras : comme je suis seul, malgré la justice de ma cause, je suis faible. Pourtant contre tes actes, tout vieux que je sois, j’essaierai de me défendre.

Œdipe. — Être impudent, qui de nous deux, moi vieillard ou toi-même, crois-tu injurier en parlant ainsi ? Ta bouche me reproche des meurtres, des incestes, des malheurs que j’ai supportés, infortuné que je suis, contre ma volonté : tel a été le bon plaisir des dieux, sans doute irrités contre ma race depuis longtemps. A moi personnellement tu ne trouverais pas à reprocher une faute, pour avoir ainsi commis ces crimes contre moi-même et contre les miens. Explique-moi, en effet, si quelque oracle annonçait à mon père qu’il mourrait de la main de ses enfants, comment tu pourrais justement me reprocher ce meurtre, moi qui


    l’époque où fut joué l’Œdipe à Colone le tétramètre trochaïque avait pris dans la tragédie une signification particulière qu’il n’avait pas encore dans les Perses : on l’employait toujours dans les passages animés. (Cf. Iphig. à Aulis, v. 317, note d’H. Weil.)

  1. L’Aréopage était une très ancienne institution d’Athènes dont le pouvoir diminua de tout celui qu’acquit progressivement la démocratie. Au début « il avait pour charge de conserver les lois, mais il prenait en tout la part la plus importante à l’administration de la cité… C’était d’après la noblesse et la richesse qu’on élisait les archontes, desquels provenaient les Aréopagites. » Aristote, Const. d’Athènes, III, 6, éd. Mathieu-Haussoullier. — Les pouvoirs de cette aristocratique assemblée, pouvoirs qu’on n’a d’ailleurs jamais bien définis, furent diminués successivement par Dracon, Clisthène, Éphialte, Périclès. Au IVe siècle, l’Aréopage ne jugea plus que les