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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/346

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n’étais pas encore engendré par mon père, pas encore enfanté par ma mère, qui étais encore dans le néant ? Si ensuite, venu au jour pour mon malheur, comme j’y vins, j’entrai en lutte avec mon père et le tuai, sans rien comprendre de ce que je faisais, ni contre qui je le faisais, comment me reprocherais-tu raisonnablement cet acte qui m’avait été imposé ? Quant à ma mère, misérable, tu n’as pas honte de me forcer, bien qu’elle soit ta sœur, à parler de mon union avec elle. Ce que fut cette union, je vais le dire et ne le tairai pas, puisque c’est toi qui as abordé ce sujet impie. Elle m’a enfanté, oui, elle m’a enfanté, ô comble de misères ! sans que je susse, sans qu’elle sût rien de l’avenir, et après m’avoir mis au monde, elle m’a donné des enfants, qui devaient être sa propre honte. Pourtant, il y a une chose que je sais bien : volontairement tu rappelles ces horreurs contre moi et contre elle, tandis que moi qui l’ai épousée contre ma volonté, c’est contre ma volonté aussi que j’en parle. Mais jamais je ne serai proclamé coupable ni pour ce mariage, ni pour le meurtre de mon père, dont tu m’accuses toujours, en m’insultant amèrement. Voici l’unique question que je te pose, réponds-y : toi, l’homme juste, si quelqu’un s’approchait de toi, et voulait te tuer, ici, sur-le-champ, t’informerais-tu si ton agresseur est ton père, ou bien lui ferais-tu payer immédiatement son attaque ? Je crois bien, si tu aimes la vie, que tu punirais le coupable, sans te soucier de la justice. Voilà pourtant les maux où je suis tombé : les dieux ont tout conduit[1]. L’âme de mon père, si elle vivait, n’aurait rien[2], j’en suis sûr, à


    affaires de meurtre avec préméditation, d’empoisonnement, d’incendie et d’impiété. Eschyle dans les Euménides lui soumet le parricide d’Oreste. Il décidera ici du cas d’Œdipe. Dans toutes les questions de morale son pouvoir paraît toujours avoir été très étendu.

  1. L’argument a déjà été employé v. 964 sq. Il est repris à dessein à la fin de ce discours, parce qu’il est décisif.
  2. Souvenir de l’Électre, v. 548 : Clytemnestre qui a tué Agamemnon pour le punir du meurtre de sa fille prétend, elle aussi, qu’Iphigénie, si la parole lui était rendue, ne pourrait qu’approuver son acte.