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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/356

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Œdipe. — Chères enfants !

Antigone. — A un père tout est cher[1].

Œdipe. — Soutiens de ma vieillesse !

Antigone. — De ta vieillesse malheureuse malheureux soutiens !

Œdipe. — Je tiens ce que j’ai de plus cher et, même mort, je ne serais plus complètement malheureux, puisque vous êtes l’une et l’autre auprès de moi. Soutenez-moi, enfants, de chaque côté ; serrez-vous contre votre père, faites-lui oublier sa vie errante, solitaire, misérable. Et dites-moi en quelques mots ce qui s’est passé : à des jeunes filles suffît un récit bref[2].

Antigone. — Voici notre sauveur ; c’est lui qu’il faut entendre, père, et, comme tu le désires, mon récit sera court.

Œdipe. — O mon hôte, ne sois pas surpris de mon insistance, si avec mes filles qui me sont rendues contre tout espoir, je prolonge mon entretien. Je sais que la joie que leur présence me donne ne me vient pas d’un autre que toi. C’est toi qui les as sauvées, toi seul. Que les dieux te comblent de leurs dons, autant que je le veux, toi et ce pays, car ce n’est qu’auprès de vous seuls parmi les hommes que j’ai trouvé la piété, la bonté, la franchise. Je le sais et t’en remercie par ces paroles. Ce que j’ai, c’est à toi que je le dois, non à un autre. Aussi, roi, tends-moi ta main droite que je touche, que je baise, si cela m’est


    v. 1102, προσέλθετ`, ὧ παῖ, v. 1104, ἐρείσατ᾽, ὦ παῖ, v. 1112. (Cf. Phil. v. 369.) La raison de cette singularité, c’est que si les filles d’Œdipe sont bien l’une et l’autre en scène, Ismène est un personnage muet.

  1. Elle corrige tristement l’expression de son père, parce que malgré l’amour que ce père a pour ses filles, leur existence à tous trois reste douloureuse.
  2. Est-ce une critique à l’adresse de quelque poète qui l’aurait oublié ? On rappelle que dans ses Phéniciennes, v. 751, Euripide fait de la même manière une allusion malveillante à une longue scène des Sept, v. 375-652, et qu’il proteste, fr. 165, contre une maxime de l’Antigone, v. 563 sq. Les modernes peuvent plus aisément soupçonner ces allusions détournées qu’en donner une preuve effective, puisqu’ils ne lisent plus qu’un très petit nombre des pièces anciennes.