Aller au contenu

Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeunesse. Laisse le roi satisfaire son cœur ; laisse-le, comme il le veut, satisfaire le dieu et à nous deux accorde que vienne ici notre frère. Il ne te fera pas de force, sois tranquille, changer d’avis, s’il ne dit rien qui te soit utile. Des paroles, quel danger y a-t-il à les écouter ? C’est par la parole que se trahissent les desseins perfides. Tu lui as donné la vie ; aussi, même s’il commettait à ton égard les crimes les plus impies, mon père, il ne t’est pas permis de lui rendre le mal pour le mal. Laisse-le venir. D’autres aussi ont des fils coupables ; ils éprouvent un ressentiment aigu, et pourtant, conseillés par les douces paroles de leurs amis, ils apaisent leur naturel. Songe au passé, non au présent, aux maux qui te sont venus de ton père et de ta mère ; si tu y réfléchis, lu reconnaîtras, j’en suis certaine, quelle suite fâcheuse a la colère. Tu en as une preuve, qui n’est pas négligeable, dans la perte de tes yeux sans regard. Allons, écoute-nous, cède. Il ne convient pas que supplient longtemps ceux qui demandent une chose juste, ni que celui qui reçoit un bienfait, après l’avoir reçu, ne sache pas le payer[1].

Œdipe. — Ma fille, douloureux est le triomphe que remportent sur moi vos paroles : qu’il en soit pourtant comme il vous plaît. Seulement, mon hôte, si cet homme vient ici, qu’on ne s’empare jamais de ma personne.

Thésée. — Je n’ai pas besoin que tu dises deux fois la chose, vieillard, une fois suffit. Je ne veux pas me vanter,

  1. Antigone n’a plus dans cette pièce la juvénile rudesse d’autrefois, celle qui la caractérisait avec tant de force dans la pièce qui porte son nom. Celui qu’il s’agit de convaincre, elle le sait mieux que personne, est encore, malgré son âge, le plus irascible des hommes. Et pourtant, il faut qu’il cède, qu’il nous laisse entendre son fils le supplier. Elle présente donc d’abord ce qu’elle demande à son père, comme une chose sans conséquence, car ce n’est pas parce que celui-ci aura écouté Polynice qu’il sera contraint de céder à ses raisons : il importe pourtant qu’il les connaisse. Ensuite, elle insiste sur la qualité du suppliant : il est le fils de celui auquel il s’adresse. Puis, — chose plus délicate à formuler, — elle conseille à son père de se défier de ses premiers mouvements : il en porte sur la face des traces indélébiles. Elle termine enfin en faisant