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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/374

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jamais il n’aurait entendu ma voix. Il s’en ira donc satisfait, après avoir ouï de ma bouche ce qui ne réjouira jamais sa vie. — (A Polynice[1].) Misérable ! quand tu avais le sceptre et le trône qu’a maintenant ton frère à Thèbes[2], n’as-tu pas chassé ton propre père, ne l’as-tu pas exilé, ne l’as-tu pas réduit à porter ces vêtements dont la vue maintenant te tire des larmes, quand tu te trouves dans le même malheur que moi-même ? Or, ces maux, à quoi sert-il que tu les pleures ? Il faut bien que je les supporte, moi, tant que je vivrai, en me souvenant de ton parricide[3] : car c’est toi qui me fais vivre en cet état de misère, c’est toi qui m’as banni, c’est à cause de toi qu’errant vagabond je mendie à autrui ma nourriture quotidienne. Si je n’avais pas engendré ces deux filles qui soutiennent ma vie, certainement je serais mort et tu en serais la cause. Ce sont elles qui prolongent mon existence, ce sont elles mes nourrices, elles sont des hommes, et non des femmes, pour partager ma misère. Vous, vous n’êtes pas mes fils, non, vous êtes les fils d’un autre. C’est pourquoi la divinité a les yeux sur toi, et ce sera pire encore, si ces phalanges se mettent en branle et marchent contre les murs de Thèbes. Jamais tu ne renverseras cette ville. Auparavant tu tomberas, et ton frère aussi, couvert de sang. Voilà les Malédictions que j’ai déjà lancées contre vous[4], et maintenant je les invoque


    l’exilé, c’est qu’il n’a pas son franc parler et qu’il est obligé de déraisonner avec ceux qui détiennent le pouvoir.

  1. Il explique d’abord au coryphée pour quelle raison il daigne répondre à son fils, et vers ce fils aussitôt il se tourne et lui fait sa réponse : alors éclate sa colère. Cf. schol. v. 1354 : δαιμονίως τῇ ἀποστροφῇ χρῆται ἀπὸ τοῦ χοροῦ ἐπὶ τὸν Πολυνείκην ὁ Οίδίπους.
  2. Polynice n’a jamais régné un seul jour à Thèbes (cf. Notice, p. 148 sq.) mais Œdipe ne peut pas le reconnaître, puisque sa colère n’aurait plus aucun effet scénique.
  3. Noter l’exagération : il l’appelle son meurtrier. Pourtant il respire encore. C’est un mot que dans ses emportements il semble affectionner. N’avait-il pas dit à Créon, bien des années auparavant, quand il l’accusait si follement de perfidie à son égard, qu’à coup sûr celui-ci était son meurtrier ? Cf. O. R. 534.
  4. Quelles sont ces Malédictions ? Le scholiaste les fait remonter, d’après la Thébaïde, au temps où Œdipe, après la découverte de