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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/56

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tenir tête à Eros : il commande, à sa guise, et aux dieux et à moi-même ; comment ne traiterait-il pas une autre femme, comme il m’a traitée ? Aussi faire des reproches à mon mari, parce qu’il est saisi par ce mal, serait pure folie, comme en adresser à cette femme, qui ne m’a pas outragée, qui ne m’a fait aucun tort. Loin de moi cette pensée ! Et si c’est ton maître qui t’apprend à mentir[1], ce n’est pas là une belle leçon qu’il te donne. Si tu tiens cette science de toi-même, en voulant être bon, tu seras trouvé cruel. Dis donc toute la vérité, car pour un homme libre, être appelé menteur, c’est une flétrissure ignominieuse. Ne cherche pas à me rien dissimuler, cela est impossible : nombreux sont les gens à qui tu as parlé, qui me répéteront tes paroles. Et si la crainte te retient, ta peur est vaine, car ne rien apprendre, voilà ce qui me tourmenterait : qu’y a-t-il de terrible à savoir ? Héraclès n’est-il pas l’homme qui, à lui seul, a aimé le plus de femmes, sans compter celle-ci[2] ? Aucune d’entre elles n’a encore essuyé de ma part ni une parole injurieuse, ni un outrage. Celle-ci ne sera pas traitée autrement, quand bien même Héraclès serait violemment consumé d’amour pour elle. Je n’ai, à sa vue, éprouvé qu’une pitié profonde, en songeant que sa beauté a perdu sa vie, et que, sans le vouloir, la malheureuse, elle a ruiné et réduit en esclavage la terre de ses ancêtres. Laissons donc les choses suivre leur cours. Quant à toi, je te le répète, sois dissimulé pour autrui, mais ne mens jamais en face de moi.

  1. La supposition est purement gratuite, car Héraclès n’a jamais dit à Lichas de cacher la vérité à Déjanire. C’est de son propre mouvement que Lichas a menti, comme il le reconnaît lui-même v. 479 sqq. Celui-ci, il est vrai, prétend que cette absence de dissimulation est en faveur de son maître, mais sans être hostile à Héraclès, on ne peut que donner tort à Lichas. L’époux, très égoïste en sa passion, a totalement oublié sa femme, et c’est au serviteur à prendre l’initiative de dissimuler les faits à sa maîtresse, puisque le maître n’y a jamais songé. Cette substitution n’est pas favorable au glorieux époux de Déjanire.
  2. Après avoir résumé la multitude des légendes qui avaient cours