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Page:Sophocle (tradcution Masqueray), Tome 2.djvu/92

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dain je la vois qui se précipite dans la chambre d’Héraclès. Et moi, me cachant, dans l’ombre, j’épiais ce qu’elle allait faire : je la vois étendre des couvertures sur la couche de son époux. Quand elle eut fini, elle s’élance sur le lit, elle s’asseoit au milieu, elle pleurait, elle versait des larmes brûlantes : « O lit conjugal, disait-elle, et toi, ma chambre nuptiale, aujourd’hui je vous dis un adieu éternel : jamais vous ne me recevrez plus sur cette couche pour y reposer. » Sans en dire plus, d’un geste violent elle ouvre son péplos à l’endroit où une agrafe d’or le lui retenait au-dessus des seins ; elle met à nu tout son flanc et son bras gauche. Je me sauve alors, je cours de toutes mes forces, je raconte à son fils ce qu’elle préparait et, le temps de la quitter et d’accourir ici l’un et l’autre, nous l’apercevons : sous le foie et le diaphragme elle avait un glaive à double tranchant enfoncé dans le côté[1]. A cette vue, son fils poussa un grand cri ; il reconnut, hélas ! qu’il était la cause, par son emportement, de cette mort ; il apprit trop tard, par les gens du palais, qu’elle avait agi, sans rien savoir, sur l’inspiration du Centaure. Et maintenant, dans sa douleur le jeune homme se lamente passionnément et pleure sur elle, il s’agenouille, il lui baise les lèvres, il s’étend à ses côtés, il ne cesse de déplorer de l’avoir injustement accusée, il pleure d’avoir, d’un seul

  1. Cette description pathétique de la mort de Déjanire n’est pas originale en tous ses détails : inconvénient inévitable quand la tragédie eut multiplié sur la scène ces sortes de récits. On pense surtout, en cette occasion, à Alceste qui, dans Euripide, maîtresse compatissante et bonne, comme l’épouse d’Héraclès, ne quitte pas la vie sans tendre la main droite à chacun de ses serviteurs, même au plus humble, et qui, de plus, épouse passionnée, comme la malheureuse Déjanire, — ce qui ne va pas, comme ici, sans quelques difficultés, puisque l’époux qu’elle aime avec tant de ferveur a accepté, sans aucun excès d’amour pour sa femme, qu’elle meure à sa place, — se précipite sur la couche nuptiale, qu’elle mouille, en lui disant adieu, de la rosée de ses larmes. Il n’est pas jusqu’au temps d’arrêt marqué par le poète avant que Déjanire se tue, qui n’ait ailleurs son double : c’est par des gestes parallèles, après avoir arraché les agrafes d’or du péplos de Jocaste, qu’Œdipe avive l’attente des