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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/144

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Il avait lieu de craindre, en me disant le reste,
Que son crime pour moi devenu manifeste…

ŒDIPE.
Cesse de l’excuser, que m’importe, en effet,

S’il est coupable, ou non, de tout ce que j’ai fait ?
En ai-je moins de trouble ou moins d’horreur dans l’âme ?


SCÈNE VII.

[1]

ŒDIPE.
Mon souvenir n’est plein que d’exploits généreux ;

Cependant je me trouve inceste et parricide,
Sans avoir fait un pas que sur les pas d’Alcide,
Ni recherché partout que lois à maintenir,
Que monstres à détruire et méchants à punir.
Aux crimes, malgré moi, l’ordre du ciel m’attache,
Pour m’y faire tomber à moi-même il me cache ;
Il offre, en m’aveuglant, sur ce qu’il a prédit,
Mon père à mon épée, et ma mère à mon lit.
Hélas ! qu’il est bien vrai qu’en vain on s’imagine
Dérober notre vie à ce qu’il nous destine ;
Les soins de l’éviter font courir au-devant,
Et l’adresse à le fuir y plonge plus avant.
Mais si les Dieux m’ont fait la vie abominable,
Ils m’en font par pitié la sortie honorable,
Puisqu’enfin leur faveur mêlée à leur courroux
Me condamne à mourir pour le salut de tous ;
Et qu’en ce même temps qu’il faudrait que ma vie
Des crimes qu’ils m’ont faits traînât l’ignominie,
L’éclat de ces vertus que je ne tiens pas d’eux
Reçoit pour récompense un trépas glorieux.


SCÈNE X[2].
THÉSÉE, DIRCÉ, NÉRINE.


NÉRINE.
Madame…


DIRCÉ.
Que veux-tu, Nérine !


NÉRINE.
Hélas ! la reine…


DIRCÉ.
Que fait-elle ?


NÉRINE.
Elle est morte, et l’excès de sa peine,

Par un prompt désespoir…

DIRCÉ.
Jusques où portez-vous,

Impitoyables Dieux, votre injuste courroux !

THÉSÉE.
Quoi, même aux yeux du roi son désespoir la tue ?

Ce monarque n’a pu…

NÉRINE.
Le roi ne l’a point vue,

Et quant à son trépas, ses pressantes douleurs
L’ont cru devoir sur l’heure à de si grand malheurs,
Phorbas l’a commencé, sa main a fait le reste.

DIRCÉ.
Quoi, Phorbas…
  1. SOPHOCLE. Chœur final du IVe acte.
  2. Chœur du milieu du Ve acte : Ἰὼ φίλος… SOPHOCLE, V, v. 6.