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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/19

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Laïus. Il est hors de toute vraisemblance que ni l’un ni l’autre n’aient fait aucune recherche sur un événement de cette nature, et qu’ils n’en aient même jamais parlé. Cependant, sans cette supposition improbable, il n’y a plus de sujet, et heureusement, selon la règle d’Aristote, elle est reculée dans l’avant-scène et ne fait point partie de l’action. Ce qui est nécessaire au sujet est excusable, mais ce qui est nécessaire au poète pour le remplir ne l’est point. C’est ce qu’on peut dire du malheureux épisode des amours de Jocaste et de Philoctète dans l’Œdipe de Voltaire, qu’entrainaient les habitudes théâtrales de son temps ; cet épisode est bien plus vicieux encore que celui de Créon accusé par Œdipe et que nous avons critiqué plus haut. Toutefois, pour compléter notre idée sur le défaut que nous venons de blâmer dans Sophocle, nous devons faire observer qu’il arrive assez généralement que le spectateur ne se rend pas difficile sur ce qui a précédé l’action ou sur les hypothèses du poète à cet égard ; il réserve d’ordinaire sa sévérité pour les faits qui s’accomplissent sous ses yeux.

On rencontre çà et la dans Sophocle quelques longueurs, des redites même, comme il y en a toujours chez les Grecs. Le dialogue pourrait être quelquefois plus concis, plus vif et plus animé, le style plus rapide et plus entraînant, comme Chénier a cru devoir le faire dans sa faible imitation. Ce sont là des défauts qu’on devra bien se garder d’imputer à notre traduction dont le but est de rendre, presque toujours et autant que possible, l’auteur grec à peu près tel qu’il est.

Voltaire a prouvé d’une manière incontestable que la circonstance peu noble de l’injure proférée contre Œdipe par un homme en état d’ivresse, pouvait être très-heureusement remplacée. Quelle belle idée que celle du tragique français, d’amener plutôt l’oracle par la pensée, on ne peut mieux imaginée, d’un premier sacrifice solennel fait par Œdipe et repoussé par une main invisible, au milieu des imprécations d’une voix effrayante !

Le récit du meurtre de Laïus, tel que l’a fait Voltaire, est réellement supérieur à celui de Sophocle qui se montre si souvent le maître du tragique moderne. La supériorité de cette narration prouve que le tragique grec aurait pu y jeter plus d’intérêt dramatique et y employer des couleurs plus poétiques, y donner plus de vie et d’âme. Quoique pur, exact et correct, le tableau de Sophocle est loin d’être aussi sublime, aussi vivant que celui de Voltaire. On voit dans ce dernier des traits de caractère, des mouvements de l’âme, des pein-