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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/30

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Aux temples de Pallas, dans la place publique[1],
Ou fouler d’Isménos la cendre prophétique[2].
Thèbes à la tempête en butte trop longtemps
Est près de succomber aux furieux autans.
Sa tête, qu’ont battue et les flots et l’orage,
Sous l’abîme sanglant essuie encor leur rage ;
Partout le fruit naissant dans sa fleur se flétrit,
Femmes, enfants, troupeaux, tout succombe et périt.
De feux cruels armée, une affreuse déesse
Dépeuple la cité, la plonge en la détresse,
Et l’Erèbe, enrichi tous les jours de nos pleurs[3],
Rit des fils de Cadmus en voyant leurs malheurs.

  1. Les anciens Grecs étaient dans l’usage de s’asseoir à terre, quand ils venaient demander une grâce. L’usage de se prosterner était réservé aux Orientaux. Le mot s’humilier (humi, à terre) rend seul à peu près l’idée du mot grec s’asseoir à terre.
    Il y avait à Thèbes deux temples de Pallas, l’un connu sous le nom de Minerve onca, ou secourable ; l’autre, sous celui de Minerve isménienne, à cause du fleuve Isménos, qui traversait Thèbes et qui a encore son ancien nom. On appelait aussi cette cité cadméenne, à cause de Cadmus. Des critiques prétendent qu’il ne s’agit ici que de celui des deux temples qu’on voyait dans la place publique : il était consacré à Minerve secourable et s’appelait double, à cause de ses deux ailes.
  2. Isménos, rivière béotienne, aujourd’hui desséchée, selon Dodwell, Tour through Greece, T. I., 1819. Le temple d’Apollon était situé sur ses bords.
    La cendre prophétique ; cendre est mis, par une belle et riche métonymie, pour autel sacré.
    Le texte dit : Sur la cendre fatidique, μαντεία σποδός, de l’Isménos. Ce vers sublime ne demandait qu’à être rendu presque mot à mot. Ce mot cendre est ici employé parce que l’avenir se dévoilait, se prédisait dans ce temple, en consultant le feu ou plutôt les cendres des victimes brûlées en l’honneur du dieu.
  3. Cette déesse, ce dieu, λοιμὸς, la peste, puisqu’il faut l’appeler par son nom, ἔχθιστος λοιμὸς ; suspension d’un heureux effet imitée par Lafontaine.
    Quelle harmonie lente et lugubre dans ces mots :
    ῍Αιδης στεναγμοῖς καὶ γόοις πλουτίζεται,
    Qui ont encore inspiré ce beau vers à Lafontaine :
    Capable d’enrichir en un jour l’Achéron.
    ῍Αιδης est fort heureusement précédé de μίλας qui signifie noir, profond, et a peut—être la force des deux idées ensemble.