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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/50

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TIRÉSIAS.
C’est un crime à tes yeux que cette dureté,

Mais celle dont un roi se montre transporté,
Tu la comptes pour rien, et j’en suis la victime[1] !

ŒDIPE.
Et quel Thébain pourrait, sans courroux légitime,

Écouter des discours offensants pour l’État ?

TIRÉSIAS.
Tes malheurs assez tôt naîtront avec éclat,

Quand même je voudrais les passer sous silence.

ŒDIPE.
De ce sort menaçant donne donc connaissance.


TIRÉSIAS.
Je ne parlerai point, dût ton cœur irrité

Par le plus vif courroux se montrer emporté !

ŒDIPE.
Je cède à la fureur, au feu qui me consume,

Je ne cacherai rien des faits que je présume.
Je te soupçonne donc du crime instigateur ;
Tu fus de ce forfait le complice ou l’auteur ,
Tu fis tout, quoique aveugle et du meurtre incapable :
D’autres bras ont servi ton audace coupable.

TIRÉSIAS.
Tu viens de prononcer toi-même ton arrêt[2] ;

Dès ce jour tu seras comme l’impur objet

  1. Brumoy traduit froidement cette beauté caractéristique, cette expression énergique, heureuse et sublime à la fois : « Et vous comptez pour rien la colère qui vous transporte. » Il faut être souvent plus hardi que cela en traduisant ou en faisant passer dans d’autres langues, d’aussi grands génies
    que Sophocle.
    Au reste, ces mots de Tirésias sont terribles par tout ce qu’ils disent et annoncent. C’est la colère obstinée d’Œdipe qui sera cause que ses crimes passés vont être dévoilés à ses yeux ; c’est cette colère, devenue fureur, qui va décider de ses destinées.
  2. C’est très-littéral. La liberté du prophète est justifiée par la colère d’Œdipe. Cette scène est si bien conduite, que Tirésias parle à découvert et annonce au roi son destin, sans qu’Œdipe doive le croire. Il a sujet de penser que tout ceci est l’effet de la fureur et du complot de Tirésias, d’autant plus qu’il se croit fils du roi de Corinthe et non de Laïus.