Aller au contenu

Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CRÉON.
Ah ! puissé-je souffrir la mort la plus funeste !

Puissé-je succomber sous le courroux céleste !
Si jamais j’ai conçu le forfait odieux
Dont ton époux m’accuse.

JOCASTE.
Œdipe, au nom des Dieux !

Ah ! respecte du moins la parole jurée,
Et la foi du serment qui doit t’être sacrée !
Ah ! respecte les vœux de ce peuple et les miens !

LE CHŒUR[1].
Seigneur, de ton courroux brise enfin les liens,

Écoute la raison et cède à nos instances.

ŒDIPE.
Qu’exige-t-on de moi ? Pour combler mes souffrances,

Sous un sujet faut-il me courber, par hasard ?

LE CHŒUR.
De ce prince, à tes yeux déjà digne d’égard,
  1. Il y a ici un commos entre Œdipe, le chœur, Créon et Jocaste (V. 650-697 du texte.)
    Partout, dit le célèbre Olfr. Müller, en parlant de l’ordonnance de la tragédie antique (Hist. de la littér. gr., t. II, p. 69), où le discours est prononcé sous l’influence d’une émotion vive, il devient lyrique et se transforme en chants. Ces chants, dits alternativement par les acteurs scéniques et par les personnes du chœur, sont appelés commoi, d’un mot qui signifie plaintes, et dont le sujet fondamental est la commisération d’un mort ou d’un malheureux. Aussi l’expression de la plus vive compassion est-elle toujours le principal caractère du commos, qui a aussi pour but de stimuler à quelque action ou résolution. Souvent ce genre lyrique embrasse de grandes portions d’une tragédie, surtout dans Æschyle. Ces tableaux, animés de tristesse et de misère, soit physiques, soit morales, sont particuliers à la première période de l’art tragique des anciens : là se font aussi remarquer ces systèmes imposants de strophes et d’antistrophes dont nous avons parlé, p. 32. Une espèce particulière de commos, ce sont les scènes où une partie apparaît sous l’empire d’une agitation passionnée, tandis que l’autre a recours au dialogue ordinaire, ce qui produit un contraste d’un effet saisissant.