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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/79

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Où d’astres différents je vois semés les cieux[1]
J’arrive en cet endroit où ma prompte colère
Peut-être d’un bon roi termina la carrière ;
Et je dirai, madame, ici la vérité :
En un sentier étroit je m’étais arrêté ;
Un héraut, un vieillard, paraissent à ma vue,
Ce dernier sur un char ; une injure reçue
Du guide audacieux ainsi que du vieillard
Excite mon courroux, je les frappe au hasard ;
Je passe auprès du char, fier comme on l’est à l’âge
Où j’étais, et leur fouet m’atteignit au visage.
À ces coups je frémis, de fureur animé
Je frappe du bâton dont mon bras est armé[2]
Le vieillard, puis, tous ceux qui composaient sa suite ;
À tout péril alors j’échappai par la fuite.
Si cet homme est Laïus, jugez de mon malheur !
Quel mortel fut en proie à cet excès d’horreur ?
Je suis contraint de fuir à jamais cette ville ;
Chacun me repoussant, je serai sans asile,
Sans consolations, sans soutiens, sans ami,
Tous les Thébains en moi verront un ennemi.
Mes imprécations,... mon horrible anathème,
Infortuné ! sur moi je l’ai lancé moi-même !
J’ai souillé de ces mains, de ces impures mains,
Le lit de ce mortel que mes coups inhumains

  1. Cette métaphore est empruntée aux navigations de long cours, où l’on jugeait de la distance des lieux par les étoiles du pôle, par la grande et par la petite Ourse qui servaient de boussole aux marins de l’antiquité. Les anciens, fort amateurs de l’astronomie, se conduisaient en mer par les astres qui dirigeaient aussi leurs voyages sur terre. Cette expression pourrait paraître peu naturelle ici, mais elle fait une image si juste, elle peint si bien la situation d’Œdipe, et elle est si concise, qu’elle semble plutôt une beauté qu’un défaut.
  2. Ce vers montre que les anciens Grecs ne portaient pas toujours leurs armes, même en voyage.