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Page:Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/81

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JOCASTE.
Seigneur, de ce berger le discours est formel.

Son rapport est connu de Thèbes tout entière ;
Peut-il se rétracter ? Non, cet homme est sincère ;
Et quand même il viendrait à changer son récit,
L’oracle d’Apollon n’avait-il point prédit
Que Laïus de mon fils serait un jour victime ?
Ce fils infortuné n’a point commis ce crime ;
Avant ce terme, il est mort misérablement.
Comme d’autres encor, ce triste événement
En tout oracle enfin détruit ma confiance.

ŒDIPE.
Tu conçois à propos ta juste défiance,

Princesse, cependant fais venir ce berger ;
De lui dépend mon sort : je dois l’interroger.

JOCASTE.
Oui, je vais ordonner ce qu’il convient de faire,

Mais rentrons. Par mes soins je veux te satisfaire.

TROISIÈME INTERMÈDE ou CHŒUR DU IIIe ACTE[1].

Justes Dieux, faites-nous jouir
De ce bonheur paisible,
De ce divin plaisir
D’une âme incorruptible

  1. C’est un chœur de Thébains, en deux strophes et antistrophes. Nous l’avons déjà vu, le chœur de la tragédie est le représentant fidèle de l’humanité, vis-à-vis des faits successifs que produit la scène : il réunit en un faisceau les diverses impressions que le spectacle des héros agissants a provoquées dans son âme. Le poète fait dire au chœur de ces vérités éternelles, immuables, qui s’appliquent à tous les temps et à toutes les sociétés. C’est de ce point de vue qu’il faut envisager le chant sublime de la fin du troisième acte. Il faut se pénétrer d’abord des sentiments, dont, après le dialogue entre Œdipe et Jocaste, le chœur devait être animé, puis nous transporter au milieu de cette Athènes de Périclès, à l’apogée de sa puissance et de sa valeur et pressentant déjà sa future décadence et la ruine de ses libertés. Sous quel jour se présente alors l’analogie entre le théâtre et la vie réelle ! Mais ne considérons ce chant admirable que sous son rapport dramatique.
    Le chœur est sous l’impression à la fois du crime de Laïus, du meurtre commis par Œdipe, et de la légère incrédulité de Jocaste. Aussi rappelle-t-il à son âme les lois éternelles et inviolables, et insiste pour que ceux qui les ont violées soient découverts et punis. Sans cela, « à quoi bon la religion ? » Toutes ces sensations d’une juste indignation le poussent à supplier les Dieux de faire reluire le flambeau de la justice, afin que leur gloire ne s’éteigne pas.
    Ce qui nous reporte bien loin de Voltaire, dit M. Patin c’est l’intention religieuse des strophes où le chœur qui vient d’écouter en silence les confidences mutuelles d’Œdipe et de Jocaste, semble condamner la violence de l’un, la légèreté de l’autre, par un éloge sublime des lois divines et éternelles qu’on ne viole pas impunément et qui régissent le monde.
    Cependant le chœur n’est pas seulement ici l’avocat de la morale religieuse compromise par les impressions de la pièce ; il est encore le représentant du peuple thébain : c’est en son nom qu’il demande aux Dieux, avec l’égoïsme de la souffrance, de donner suite a la lutte pénible engagée devant
    lui et de laquelle dépend le salut de la patrie.