Aller au contenu

Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Chrysothémis, née du même père et de la même mère, portent dans ses mains des offrandes funèbres, telles qu’on en fait aux morts.



CHRYSOTHÉMIS.

Quels sont encore, ma sœur, ces cris que tu fais retentir devant le vestibule de ce palais ? et le temps n’a-t-il pu t'apprendre à ne pas t’abandonner à ces inutiles transports ? Cependant, je sais aussi ce que je souffre moi-même, et, si j’avais assez de forces, je ferais voir quels sont mes sentiments pour eux[1]. Mais dans notre triste position, je crois à propos de naviguer les voiles repliées[2], et de ne pas me figurer que j’agis, quand je ne leur fais aucun mal. Je voudrais que tu suivisses mon exemple ; cependant la justice est bien plus dans ton opinion que dans la mienne ; mais si je veux vivre libre, il me faut obéir à ceux qui sont les maîtres.

ÉLECTRE.

Il est vraiment indigne qu’étant fille du père qui t’a donné le jour, tu l’oublies pour t’inquiéter de ta mère ! Car enfin, tous ces conseils que tu me donnes t’ont été suggérés par elle, et ce langage n’est pas de toi. Choisis donc de deux choses l’une, ou tu as perdu le sens, ou tu oublies volontairement tes amis : tu disais tout à l’heure que si tu avais assez de forces, tu montrerais la haine

  1. Égisthe et Clytemnestre. Expression de mépris. Ainsi, Didon, parlant d’Énée, Énéide, IV, v. 590 :
    Proh Jupiter ! ibit
    Hic, ait, et nostris illuserit advena regnis !
  2. Dans Antigone, v. 715-7, Hémon emprunte à la navigation une comparaison tout entière. M. Boissonade cite des exemples d’une métaphore analogue, qui a passé dans notre langue, mais seulement dans le style familier. Dans l’Étourdi de Molière, acte 1er :
    J'ai conçu, digéré, un stratagème,
    Devant qui tous les tiens, dont tu fais tant de cas,
    Doivent, sans contredit, mettre pavillon bas.
    Et Boileau, Satire Xe :
    Devant elle Rolet mettrait pavillon bas.