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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/122

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de tous côtés si personne ne se présente à moi. Ayant reconnu que tout était calme et tranquille, je me rapproche alors du tombeau, et je vois des cheveux fraîchement coupés, déposés sur le tertre. Aussitôt, à ce spectacle, l’image bien connue du plus chéri des mortels frappe mon âme, et je crus voir une preuve de la présence d’Oreste ; je les prends dans mes mains, en m’abstenant de toute parole de mauvais augure, mais des pleurs de joie inondent mon visage. Et maintenant comme alors, j’en suis certaine, cette offrande ne peut venir que de lui. Car de qui serait-elle, si ce n’est de toi ou de moi ? Or, ce n’est pas de moi, je le sais, ni de toi non plus, puisque tu ne saurais impunément sortir de ce palais, pas même pour adorer les dieux[1]. Quant à ma mère, de telles pensées n’entrent point dans son cœur, et d’ailleurs elle n’aurait pu le faire sans être remarquée. Ces offrandes sont donc de la main d’Oreste. Ainsi, prends courage, chère Électre, la même fortune ne s’attache pas toujours aux mêmes mortels ; jusqu’ici elle nous était contraire ; mais ce jour sera peut-être l’œuvre de bien des prospérités.

ÉLECTRE.

Hélas ! que j’ai pitié de ta démence !

CHRYSOTHÉMIS.

Quoi donc ! ce que je dis ne te cause pas de joie ?

ÉLECTRE.

Tu ne sais ni en quels lieux tu es, ni où s’égare ton esprit.

CHRYSOTHÉMIS.

Comment ne saurais-je pas ce que j’ai vu de mes yeux ?

ÉLECTRE.

Il est mort, malheureuse, avec le salut que tu espérais de lui ; n’attends plus rien d’Oreste.

  1. On peut comparer à tout ce passage les Choéphores d’Eschyle, v. 168-204, et l’Électre d’Euripide, v. 509-527.