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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/125

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ration : « Voyez, amis, ces deux sœurs qui ont sauvé le palais de leurs ancêtres, et qui, au péril de leurs jours, ont donné la mort à leurs ennemis dans toute leur puissance. Elles méritent l’amour, elles méritent le respect de tous ; il est juste d’honorer leur courage viril dans les fêtes et dans les assemblées solennelles ! » Voilà ce que tout homme dira de nous, et pendant notre vie comme après notre mort, la gloire ne nous manquera pas. Crois-moi donc, sœur chérie, venge ton père, viens en aide à ton frère, et délivre-moi, délivre-toi de tant de maux, sachant qu’une vie honteuse fait honte aux âmes bien nées.

LE CHŒUR.

Dans de telles entreprises, la prudence est une alliée nécessaire à celui qui conseille et à celui qui écoute.

CHRYSOTHÉMIS.

Ah ! sans doute, ô femmes, si son esprit n’était égaré par la douleur, elle eût, avant de parler, gardé cette circonspection dont elle s’est écartée. Sur quelle espérance, en effet, t’armes-tu de tant d’audace et m’appelles-tu à te seconder ? Ne le vois-tu pas ? tu n’es qu’une femme[1], et ton bras est plus faible que celui de tes ennemis ; leur fortune est chaque jour plus prospère, tandis que la nôtre se retire et s’anéantit. Qui donc pourrait attaquer un homme si puissant, sans s’exposer à un grand dommage ? Prends garde d’accroître encore les maux qui nous accablent, si de pareils discours étaient entendus. Car il n’y a ni délivrance, ni profit pour nous à illustrer notre nom, pour finir par une mort honteuse : et encore le plus grand des maux n’est pas de mourir, mais après avoir désiré la mort[2], de ne pouvoir pas même l’obtenir. Je t’en conjure donc, avant de nous perdre à jamais et de détruire toute notre race, réprime

  1. Le texte ajoute : « et tu n’es pas homme. »
  2. Dans toute cette réponse de Chrysothémis à Électre, beaucoup de passages rappellent les paroles d’Ismène à Antigone. (Voy. la première scène d’Antigone.)