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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/132

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Hélas ! hélas ! tristes dépouilles ! ô fatal voyage ! ô frère bien-aimé ! tête si chère ! tu m’as perdue ; oui, c’est fait de moi. Reçois-moi donc dans ce sombre asile, car je ne suis aussi qu’un fantôme, j’habiterai avec toi les enfers. Tant que tu fus sur la terre, je partageai ta destinée ; maintenant je désire partager ta tombe, et mourir ; car je ne vois pas que les morts aient encore à souffrir.

LE CHŒUR.

Songe, Électre[1], que tu es née d’un père mortel, et Oreste l’était aussi ; modère donc tes regrets. En effet, Je même sort attend tous les humains.

ORESTE.

Hélas ! hélas ! que dire ? comment exprimer ce que je veux faire entendre ? car je ne puis plus retenir mes paroles.

ÉLECTRE.

Quelle douleur te saisit ? que signifie ce langage ?

ORESTE.

Serais-tu donc cette glorieuse Électre ?

ÉLECTRE.

C’est elle-même, mais en quel état déplorable !

ORESTE.

Hélas ! à quelle cruelle infortune tu es réduite !

ÉLECTRE.

Quelle cause, étranger, te fait ainsi gémir sur moi ?

ORESTE.

O beauté indignement flétrie, et par l’abandon des dieux[2] !

ÉLECTRE.

Oui, c’est bien sur moi-même que s’exhalent tes regrets, ô étranger !

  1. Ce n’est pas sans dessein que le nom d’Électre est ici prononcé par le Chœur, qui veut éveiller l’attention d’Oreste.
  2. ᾿Ατίμως κἀθέως ἐφθαρμένον. C’est ainsi qu’Œdipe roi, v. 254, parle de la terre de Thèbes, frappée de stérilité et de la colère céleste, ἀκάρπως κἀθέως ἐφθαρμένης. Le mot ἄθεος est encore employé dans le même sens, par le Chœur, dans Œdipe roi, v. 661 : « abandonné des dieux. »