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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/282

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Thèbes, par les dieux qui président aux liens du sang, de te laisser fléchir, et de céder à mes prières ; tous deux faibles et exilés, tous deux contraints de mendier des secours étrangers, nous avons l’un et l’autre la même destinée. Et lui, assis sur le trône, infortuné que je suis ! il étale son faste, et insulte à nos communs malheurs. Mais si tu me prêtes ton appui, j’aurai bientôt et sans peine confondu son orgueil ; je te rétablirai dans ton palais, et j’y rentrerai moi-même, après l’en avoir violemment chassé. Avec ton concours, je puis me flatter de ce succès, mais sans toi, je ne puis même sauver mes jours.

LE CHŒUR.

Œdipe, par égard pour Thésée qui te l’a envoyé, ne renvoie point cet homme, sans lui avoir fait une réponse convenable.

ŒDIPE.

Si le roi de cette terre ne l’eût introduit auprès de moi, et n’eût demandé pour lui une réponse, jamais assurément il n’aurait entendu ma voix ; cependant je lui ferai cette faveur, mais les paroles qu’il entendra ne charmeront pas ses oreilles. Perfide ! lorsque tu occupais ce trône et ce sceptre, que ton frère occupe aujourd’hui à Thèbes, n’as-tu pas toi-même chassé ton père ? ne l’as-tu pas repoussé hors des murs ? ne l’as-tu pas réduit à porter ces vêtements, dont la vue t’arrache des larmes, maintenant que le sort t’a jeté dans la même infortune ? Je ne pleure pas sur mes maux, je saurai les supporter, tant que je vivrai, et que durera le souvenir de ton parricide. C’est toi qui m’as réduit à cette détresse, c’est toi qui m’as banni, c’est à toi que je dois de mendier chaque jour le soutien de ma vie ; et si je n’avais mis au monde ces jeunes filles qui me nourrissent, grâce à toi, je n’existerais plus. Aujourd’hui elles veillent sur moi, elles me nourrissent ; elles ont, pour partager ma misère, le courage de l’homme ; mais vous, vous n’êtes point mes fils. Aussi, la divinité a les yeux ouverts sur toi, non pas encore comme ils le seront bientôt,