Aller au contenu

Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui partagent la route, près d’une caverne profonde, où subsiste la mémoire de l’éternelle fidélité de Thésée et de Pirithoüs ; là il s’assit entre le rocher Thoricien, un poirier sauvage creusé par le temps, et un tombeau de pierre[1] ; puis il dépouilla ses tristes vêtements, et appelant ses filles, il leur dit de lui apporter de l’eau vive pour le bain et les libations. Elles allèrent à la colline de la féconde Cérès, visible de là[2], et eurent bientôt exécuté les ordres de leur père ; elles revinrent pour le purifier, et le revêtirent d’une robe nouvelle, conformément aux rites sacrés. Et quand il eut la joie de voir tout le service accompli, et que rien de ce qu’il avait prescrit n’avait été omis, le dieu des enfers[3] tonna ; à ce bruit, les jeunes filles tremblèrent, et, tombant aux genoux de leur père, elles versèrent des larmes, se frappant violemment la poitrine, et ne mirent pas de terme à leurs sanglots. Mais lui, entendant ces cris déchirants, les pressa dans ses bras, et leur dit : « Mes enfants, de ce jour vous n’avez plus de père ; tout est fini pour moi ; désormais vous n’aurez plus à me donner des soins, qui, je le sais, ont été pénibles ; mais un seul mot vous récompense de vos peines, personne ne vous aimait plus tendrement que moi, et quand vous ne m’aurez plus, le reste de votre vie sera tranquille. » À ces mots, ils se tinrent embrassés, pleurant et poussant des sanglots. Mais lorsqu’enfin les gémissements et les cris eurent cessé, il régnait un profond silence ; tout à coup une voix dont le son nous glaça d’effroi, se fit entendre ; c’était un dieu qui l’appelait, elle criait sans relâche : « Œdipe ! Œdipe ! qu’attends-tu ? viens, tu tardes bien longtemps. » Et lui, se sentant appeler par un dieu, prie notre roi Thésée de s’approcher, et lui dit : « Prince

  1. Cette description exacte rappelait les lieux bien connus aux contemporains de Sophocle.
  2. Ἐπὀψιον. Hermann donne à ce mot un sens actif (d’où l’on aperçoit) qu’il n’a jamais, et il l’applique à un temple de Cérès.
  3. Ζευς χθόνιος, Jupiter infernal.