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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/361

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NOTICE
SUR LE PHILOCTÈTE.




La simplicité de l’action et la vérité des caractères, telles sont les qualités éminentes des tragédies de Sophocle, et en particulier du Philoctète. Ici, tout se passe entre trois personnages, qui ont chacun leur physionomie bien prononcée. Philoctète nourrit un long ressentiment du mal que lui ont fait les chefs de l’armée grecque ; une vive animosité contre ses ennemis, une constance qui va jusqu’à l’opiniâtreté, sont les traits essentiels de son caractère. Ulysse, ce type de l’esprit grec, cet idéal de la ruse, est la personnification de la politique et de l’habileté des temps héroïques. Enfin le fils d’Achille, Néoptolème, jeune homme à l’âme candide, joue le rôle de médiateur entre Philoctète et les Grecs ; sa loyauté et sa franchise sont heureusement opposées à l’esprit astucieux d’Ulysse. Et ces trois rôles différents sont si habilement contrastés que toute l’ordonnance de la pièce en résulte, comme par un jeu naturel. En effet, le génie du poète éclate précisément, en ce qu’il a fait sortir du caractère même de ses personnages les ressorts d’une action d’ailleurs si simple.

Ainsi, Philoctète a été indignement abandonné dans une île sauvage et inhabitée, en proie à un mal cruel, dont les intervalles lui permettent à peine de pourvoir à sa subsistance. Tout à coup un secours inattendu s’offre pour mettre fin à toutes ses misères, l’arracher à sa solitude et le rendre au commerce de ses semblables. Mais il ne peut être délivré de tant de maux qu’en se faisant l’auxiliaire des ennemis qui l’ont si cruellement outragé : dans cette nécessité, sans la moindre hésitation, ou plutôt avec une fermeté inflexible, il refuse leurs bienfaits ; malgré son extrême désir de quitter le séjour désolé qu’il habite, il le préfère encore au triomphe